Le Temps (Tunisia)

Voyage atemporel dans un monde joyeux et enfantin

«Gorgi Pluriel» au palais Kheireddin­e

-

Situé au coeur de la médina, lieu de prédilecti­on et d'inspiratio­n pour l'artiste, feu Abdelaziz Gorgi, le palais Kheireddin­e abrite depuis le 10 décembre dernier l'exposition "Gorgi Pluriel", une rétrospect­ive du parcours de l'artiste aux multiples facettes.

Malgré les contrainte­s horaires de l'espace (horaire administra­tif et fermeture dimanche), "Gorgi, pluriel" a drainé la foule. Amateurs d'art, étudiants, écoliers, lycéens, touristes ou de simple curieux sont accueillis chaque jour par des guides formés pour l'occasion.

Se poursuivan­t jusqu'au 10 février 2019, l'exposition "Gorgi Pluriel" a vu le jour grâce à la collaborat­ion entre la galerie Gorgi et la Fondation Talan dans le cadre de la célébratio­n des 10 ans de la disparatio­n de l'artiste.

//Gorgi Pluriel, une célébratio­n d'un art de vivre à la tunisienne//

Plus de 300 oeuvres incluant dessins, gouaches, peintures, sculptures, timbres, tapisserie­s, céramiques sans oublier les reproducti­ons et reconstitu­tions des commandes publiques proposent un large éventail de l'ingéniosit­é artistique du célèbre peintre Abdelaziz Gorgi (1928-2008). Des textes et de nombreux documents d’archives sont aussi exposés pour faire voyager les visiteurs dans une Tunisie d'après indépendan­ce caractéris­ée par l'insoucianc­e, la joie de vivre et la soif de modernité.

Parlant de la genèse de l'exposition, la commissair­e Nadia Jelassi a déclaré à l'agence TAP que cette rétrospect­ive a été possible grâce au soutien financier de la Fondation Talan et la générosité des collection­neurs privés.

En effet, en absence d'un musée d'art contempora­in et face à la difficulté de collecter les différente­s oeuvres achetées par l'etat, un travail de recherche et de sensibilis­ation a été effectué auprès des collection­neurs privés afin de prêter leurs biens pour les besoins de l'exposition, a souligné la commissair­e.

Dans la mise en place de l'exposition, faute de temps et de moyens, une approche thématique et non chronologi­que a été adoptée a fait savoir Nadia Jelassi en expliquant que l'exposition met les différente­s phases esthétique­s qui ont ponctué la vie artistique du peintre.

En effet, une partie importante de l'exposition est dédiée au "dessin", ces croquis faits par l'artiste dans une première étape avant d'entamer la création de son oeuvre : tableau, céramique, tissage ou sculpture. Parlant de cette première étape dans son processus créateur, feu Gorgi l'avait expliqué "je suis avec mon dessin. Je monte, il descend. Il se casse la gueule. Je le fiche dehors. Je n'ai plus rien à avoir avec lui. Puis, il me manque. Je le rappelle. Il revient. Le dessin, c'est la poésie."

D'autres espaces du palais ont été consacrés aux différente­s techniques de Gorgi, comme la sculpture ou le tissage. Au début de la carrière de l'artiste, les oeuvres illustrent un monde joyeux et enfantin où Grogi célèbre avec humour la médina et ses traditions. Dans l'espace intitulé "les coquines", Nadia Jelassi a voulu marquer la phase transgress­ive de l'artiste où "on retrouve tous les éléments du vocabulair­e de Gorgi, ses référence à la médina, le corps féminin mais d'une manière déconstrui­te ".

Autour de la joie de vivre, de personnage­s folkloriqu­es, d'artisans, de la musique...les oeuvres de Gorgi chantent l'enfance et célèbrent un art de vivre à la tunisienne. Loin d'une approche orientalis­te ou idéaliste de la réalité, les éléments, symboles de l'identité tunisienne à l'instar de la Chéchia, le Machmoum, ou la danse, sont des moyens de transgress­ion de la réalité et d'une célébratio­n d'une modernité et d'une liberté toujours recherchée. Parlant de son monde pictural, Gorgi en a déjà témoigné de son vivant :"Je suis dans mon univers: Souk el Blat, el Attarine, rue des Trésors. Mes personnage­s sont là, ils m'attendent. Dans ces rues, devant ces façades, qui déjà sont des sculptures. Il me faut les réinventer pour qu'ils existent dans la modernité. Et à partir de la tradition, accéder au monde plus moderne qui sait jusqu'à l'abstractio­n".

En se promenant dans les différente­s espaces de l'exposition, le public se projette dans une perception décomplexé­e et joyeuse d'une identité tunisienne affirmée et affranchie. Dans ce monde bien coloré, l'installati­on vidéo illustrant certaines oeuvres de Gorgi commandées par l'etat pour orner les édifices hôteliers ou les institutio­ns, interpelle. Le spectateur immobile observe en silence les images des différente­s oeuvres en état délabré qui défilent devant lui à l'instar du reste du bas-relief en pierre reconstitu­ée (hôtel du lac 1973).

//Gorgi pluriel, hommage aux pionniers et clin d'oeil intergénér­ationnel//

Faire une rétrospect­ive d'abdelaziz Gorgi est une occasion pour rendre hommage à l'école de Tunis avec des oeuvres de Ammar Farhat, Yahia Turki, Aly Ben Salem, Zoubeir Turki, Aly Bellagha, Edggar Naccache, Jalel Ben Abdallah, Abdelaziz Gorgi, Brahim Dhahak, Nello Levy, Hatim el Mekki et Moses Levy.

"L'école de Tunis n'est pas un courant esthétique mais un groupe d'artistes-peintres qui se sont regroupés dans un moment où le statut de l'artiste en Tunisie est inexistant" a expliqué Nadia Jelassi en soulignant que ce groupe se réunissait pour discuter les moyens de faire évoluer l'art plastique en Tunisie.

Dans une stratégie pour la visibilité de l'art tunisien à l'échelle nationale et internatio­nale, le groupement "école de Tunis" a permis aux artistes de mieux exposer leurs oeuvres, a-t-elle encore souligné

Afin de briser les bornes intergénér­ationnelle­s, des oeuvres réalisées par des artistes contempora­ins comme Héla Lamine, Aicha Filali, Yesmine Ben Khelil sont dispersées dans les divers espaces de l'exposition, en résonance ou en dissonance mais toujours en interactio­n avec l’oeuvre de Gorgi. Ainsi, le manège chantant de Aicha Filali reprend à travers des poupées en chiffon le monde enfantin et joyeux de Gorgi (âne, karakouz, musicien) pour marquer l'atemporali­té et la vivacité de l'oeuvre de Adelaziz Gorgi, une oeuvre qui fait partie, désormais de la mémoire vivante des tunisiens.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia