L'allemagne s'engage pour la décentralisation
Coopération culturelle
L'ambassade allemande vient de lancer un appel à projets dans le cadre du Fonds de la culture pour tous. Avec pour priorités, la décentralisation et la démocratisation de la culture. Cette initiative saura-t-elle éviter les écueils et atteindre ses véritables bénéficiaires?
L'appel à projets vient d'être lancé le 8 février et les candidats auront jusqu'au 28 février pour se faire connaitre et faire valoir leurs projets. C'est en effet dans le cadre d'un appui direct à la société civile que l'ambassade d'allemagne en Tunisie met un Fonds de la culture pour tous à la disposition des associations tunisiennes oeuvrant dans le domaine de la culture.
Des objectifs cohérents en faveur de la diffusion culturelle
Ayant de grandes ambitions, le Fonds de la culture pour tous répond à plusieurs priorités. D'abord, ce mécanisme entend appuyer le processus de décentralisation dans le domaine de la culture. En ce sens, c'est la notion de diffusion culturelle qui importe et souligne le souci d'atteindre les initiatives locales là où elles sont, de préférence dans les régions périphériques mais aussi dans les zones marginalisées des grandes villes. Il s'agit ici d'un soutien à l'aménagement superstructurel du territoire. En d'autres termes, là où n'existent que les infrastructures de base, comment cultiver le lien citoyen et renforcer les capacités et les initiatives dans leur milieu. Il y a fort à faire sur ce terrain et, sans doute, ce fonds allemand apportera-t-il un bol d'oxygène, à condition que les projets soient pertinents et leurs porteurs solvables.
C'est d'ailleurs là toute la question dans un contexte où la captation de budgets est devenu un sport inquiétant. Le tissu associatif ne renferme pas que des initiatives porteuses et des acteurs indépendants. Dans ce domaine comme ailleurs, les impostures pullulent et des bonnes volontés douteuses tendent à s'interposer sous couvert associatif entre les besoins réels des populations ciblées
et des intérêts souvent inavouables. Cet écueil redoutable doit absolument être évité par ce fonds et d'autres initiatives qui, trop souvent s'égarent dans les méandres parfois marécageux de la société civile. En effet, soutenir le local signifie s'investir dans le local et non pas appuyer des associations prétendant apporter des savoir-faire dans les petites communautés et ne le faisant pas selon des critères et des procédures strictement professionnels.
Capter les financements n'aide en rien la décentralisation
Ces pièges tendus à l'argent européen prennent généralement la forme d'associations qui établissent des réseaux factices en régions mais sont clairement basées dans la capitale et régentent à partir de Tunis les initiatives qu'elles affirment représenter. Dans ce cas de figure devenu trop répandu, quels renforcements de capacités peut-on vraiment réaliser au profit des jeunes des régions enclavées pris en otage par des experts de la recherche et la captation de subventions qui se bombardent "directeurs exécutifs" de ceci ou de cela et se nourrissent grassement sur le compte de ceux qu'ils prétendent appuyer? Des ruses cousues de fil blanc, des prête-noms et des associations aux ramifications douteuses occupent le terrain, réalisent pour leur propre compte les études qui activeront les mécanismes d'aide et agissent lamentablement au nom d'une terrible vénalité.
Il est en ce sens souhaitable que les institutions finançant ce type de fonds installent des observateurs indépendants qui auraient pour mission de retracer l'origine des initiatives et de leurs porteurs. Car en l'espèce, ce sont les plus fragiles qui sont spoliés d'un rayon de soleil qu'ils méritent par une sorte de
nomenklatura agissante qui prétend régenter toutes les sources de financement et n'hésite pas à multiplier les écrans de fumée pour dérouter quiconque s'intéresserait à la traçabilité véritable des initiatives présentées comme locales.
L'urgence de toucher de nouveaux gisements d'initiatives
Il importe que les véritables récipiendaires ne soient ni des porteurs de casquettes multiples à l'échelle locale s'évertuant à boire à toutes les sources possibles de financement ni des barons à l'échelle nationale qui se font représenter incognito par des acteurs locaux qui leur sont liés. C'est à ce prix que les fonds alloués permettront de mettre en mouvement de nouveaux gisements d'initiatives et parviendront aux destinataires qui les attendent. Ces derniers sont nombreux comme une forêt que quelques arbres cacheraient et ne parviennent pas à faire entendre leurs voix escamotées par les gesticulations d'une minorité de monopolisateurs. Il est bien beau d'organiser des sessions d'information mais quels résultats peuvent-elles donner dans un environnement balisé par la vénalité quelles que soient les sommes en jeu?
Cet impératif de décentralisation culturelle est contrarié depuis des années et les mêmes erreurs se répètent ad nauseam comme si les institutions qui finançaient se souciaient uniquement de dépenser sans se soucier de la véracité des rapports rendus et de la durabilité des actions financées. De la sorte, la décentralisation escomptée ressemble plus à un serpent qui se mord la queue qu'à un cercle vertueux qui viendrait sortir des régions entières de la léthargie. Le plus dramatique dans cette affaire, c'est que ceux
qui, pour capter des budgets, affaiblissent les progrès de la décentralisation culturelle ouvrent mécaniquement des boulevards devant tous les obscurantismes qui menacent. Un projet culturel en régions dont on croit l'impact avéré sur la base d'informations partielles laisse souvent le champ libre à l'occupation du terrain par les lubies intégristes.
Quatre sessions d'information en février
A contrario, une décentralisation culturelle efficace et agissante balise la voie devant la véritable démocratisation culturelle et les dynamiques régulières que le Fonds de la culture pour tous se donne pour objectifs. Notre souhait est que ce fonds ne soit pas phagocyté par les éternels candidats aux financements ni détourné de ses options par une minorité. En soi, le fait que ce fonds allemand ne prendra en considération que les initiatives déployées hors festivals plaide pour une durabilité des projets retenus et une exemplarité de leurs interactions avec les communautés. En attendant d'y voir plus clair dans l'impact réel de la coopération internationale dans le domaine de la culture, ce fonds allemand vient apporter une nouvelle pierre à un édifice encore fragile. Car, ultime paradoxe tunisien, la démocratisation culturelle est généralement remise en question par ceux-là même qui sont censés la réaliser.
Après avoir passé en revue ces quelques embuscades de nature à contrarier les objectifs de ce fonds et d'autres, notons qu'une série de sessions d'information seront organisées à Tunis, Gafsa, Testour et Sbeitla, respectivement les 14, 15, 16 et 22 février. A suivre!