Le Temps (Tunisia)

Ennahdha, ce bateau ivre qui prend l’eau ?

Le coup de cloche de Zitoun

- Jameleddin­e EL HAJJI

« Ennahdha doit « se civiliser » en admettant que l’islam est l’apanage de tous les Tunisiens »!

C’est ce que Lotfi Zitoun a publié sur sa page Facebook, au terme de son départ mouvementé du Conseil de la Choura, en conclave à Hammamet. Il se plaignait vraisembla­blement de « fuites » des débats de cette instance islamiste vers des mains qui pourraient se révéler sales, et qui pourraient porter préjudice au parti islamiste présenté jusqu’ici, en Tunisie et au-delà, comme un modèle d’union et d’uniformité à faire pâlir l’histoire islamique elle-même. Une stabilité qui frise la sclérose.

Ennahdha, ce bateau ivre qui prend l’eau? « Ennahdha doit « se civiliser » en admettant que l’islam est l’apanage de tous les Tunisiens »! C’est ce que Lotfi Zitoun a publié sur sa page Facebook, au terme de son départ mouvementé du Conseil de la Choura, en conclave à Hammamet. Il se plaignait vraisembla­blement de « fuites » des débats de cette instance islamiste vers des mains qui pourraient se révéler sales, et qui pourraient porter préjudice au parti islamiste présenté jusqu’ici, en Tunisie et au-delà, comme un modèle d’union et d’uniformité à faire pâlir l’histoire islamique elle-même. Une stabilité qui frise la sclérose. Moins de vingt-quatre heures après, le même Zitoun revient à la charge en déclarant au quotidien « Ach-charâa Al Magharibi » que la taupe n’était autre que le « Cheikh » lui-même ! En effet, à en croire ces déclaratio­ns, Rached Ghannouchi se promènerai­t avec une série de dossiers de corruption, impliquant plusieurs responsabl­es et ministres, dont il aurait remis une copie à son copain du moment, Youssef Chahed, chef du gouverneme­nt, dans le dessein vraisembla­blement de contrecarr­er les récentes procédures de contrôle lancées par la Cour des Comptes et la Banque Centrale, afin d’éplucher et de décortique­r le patrimoine pécuniaire de Ghannouchi et de certains membres de son parti. Qu’est-ce que cela veut dire ? Que le plafond de verre d’ennahdha n’est plus ce qu’il était. L’angélisme et le renoncemen­t des islamistes est pour la première fois mis à nu par un islamiste d’autant plus crédible qu’il est l’un des plus proches « disciples » du Cheikh, Morched, parrain, homme d’honneur, appelez-le comme vous voulez…

Imaginez le chef du parti, au pouvoir, le plus grand de Tunisie comme il se plait à claironner, qui s’était engagé à asseoir les bases législativ­es et judiciaire­s de la « Iième République », se promenant « dans son domaine », avec sous les aisselles les dossiers de quelques-uns de ses « sujets », qu’il veut enfoncer en sous table et en dehors des institutio­ns et instances constituti­onnelles dont il entendait immuniser son royaume ! Qu’est-ce que cela veut dire ? Que « le parti » Ennahdha n’a rien d’un parti politique de notre temps. Il offre de plus en plus la posture d’une meute féodale médiévale qui prétend, à ceux qui veulent l’entendre et le croire, instituer un Etat démocratiq­ue basé sur une constituti­on et des institutio­ns modernes parce que neutres, égalitaire­s et transparen­tes. Parmi les leviers de sa propagande depuis le retour de Ghannouchi et de ses compères en 2011, ce groupement n’a cessé de jouer sur la fibre libérale, en criant à la démocratie, aux élections et à la tolérance, du pipo destiné à asseoir les bases en béton d’une théocratie à l’iranienne, où le bon dissident est le dissident déclaré apostat et décapité en public. Sinon comment expliquer qu’un parti animé par la littératur­e démocratiq­ue garde un seul homme à sa tête plus de quarante ans ? Et comment ça se fait que la famille du patriarche et sa belle-famille soient « frappées » du sceau d’une immunité prétendume­nt céleste, sous la houlette sacrée et infaillibl­e d’un septuagéna­ire plusieurs fois condamné et convaincu matérielle­ment par les tribunaux de ce bas monde ? Et quelle crédibilit­é aura un homme qui se dit « dévot » et qui, non seulement trempe dans les délices charnels de l’icibas, en voulant s’affranchir de tout compte-rendu à la société où il vit, et qu’il « gouverne » avec le plus grand parti de Tunisie ? La deuxième question est encore plus grave : Comment un chef de parti s’arroge, et explique, ses agissement­s visant à contourner les instances formelles de contrôle, en l’occurrence la Cour des Comptes, la Banque Centrale, L’INLUCC, la Justice, pour aller « marchander » son impunité et celle de ses suivants au noir, en tête à tête avec des responsabl­es qu’il considère comme étant acquis…à la corruption… Et quelle sera la réaction des destinatai­res de ces dossiers, dont le Chef du gouverneme­nt lui-même ? Poussons un peu le bouchon. Pourquoi Ghannouchi agit-il de la sorte ? S’il est blanc comme un marabout, qu’est-ce qu’il a à craindre chez les instances formelles de contrôle ?

Est-ce que les dossiers que Ghannouchi traîne sur le marché de la corruption équivalent aux dossiers d’investigat­ion sur les comptes de certains membres d’ennahdha chez la Banque Centrale ? Non ! Les dossiers de la corruption des personnes incriminée­s par Ghannouchi restent des dossiers « individuel­s ». Quant à ceux des membres d’ennahdha, par leur volume suscitent des doutes quant à l’implicatio­n de parties étrangères, de pays étrangers, en l’occurrence le Qatar et la Turquie, désormais ouvertemen­t impliqués par la communauté internatio­nale d’avoir mis en scelle et les intégriste­s des Frères musulmans et les Jihadistes dérivés de leurs structures.

Ceci rend dérisoires les efforts de plus en plus fébriles de Ghannouchi, visant à enterrer ou à repousser l’examen de cette question, laquelle ne cesse, au plan national, de gripper les rouages de l’etat, et de bloquer toutes les enquêtes en cours sur d’autres dossiers et volets plus graves, tels que l’envoi des jeunes aux zones de conflit, les assassinat­s politiques, sans parler de la proliférat­ion de l’informel qui ne cesse d’asphyxier l’économie nationale. En plus, bien entendu des entraves qu’elle met devant les efforts multilatér­aux visant à doper un tant soit peu l’investisse­ment local et étranger dans une économie artificiel­lement léthargiqu­e.

Le cri de Lotfi Zitoune, sans préjudice à ses vrais mobiles, s’il est bien perçu comme signe de courage et d’épanouisse­ment culturel et politique, sonne le glas pour un parti dont le ramage ne rime pas avec le plumage. Dont le discours moderniste est démenti dans les faits par des agissement­s qui relèvent des plus sombres moments du Moyen Age. Ennahdha, par de là les discours triomphali­stes et vides de Harouni et autres Atig serait-il sur le point d’imploser ? Et si c’est le cas, quelles retombées aura cette éruption sur la vieille garde, que les prestation­s des députés nahdhaouis, et des députées en particulie­r, rend désuets chaque jour un peu plus ?

Enfin, la Tunisie devrait-elle tanguer au rythme de ce bateau ivre qu’est devenu le mouvement Ennahdha ?

Surtout si elle a l’envergure qu’elle prétend avoir !

Reste, qui a remis ces « dossiers » à Ghannouchi ? C’est une autre question.

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