Le Temps (Tunisia)

Sortez couverts !

- Zouhour HARBAOUI

La Culture est tombée bien bas pour que l’on s’en serve comme vecteur de la fête d’un saint chrétien, devenue, au fil du temps, une fête commercial­e. J’ai lu le communiqué d’un événement proposé par l’institut français de Tunisie (IFT) à la veille de la Saint-valentin, intitulé «Leilet hob/nuit de l’amour». Et j’en suis tombée pas «in love» mais des nues et même à la renverse !

Tout en lisant, je me suis demandé si, à L’IFT, on n’avait pas retenu seulement que les trois premières lettres du mot «culture».

Déjà quand on lit «pour les célibatair­es, les amoureux d’un soir, les amants d’une vie, les relations stables, confirmées ou compliquée­s, l’institut français de Tunisie célèbre la Saint Valentin lors d’une nuit sur le thème "kitsh & love…", dès le 13 février au soir, pour être les premiers à s’aimer !», on se pose des questions. On se demande si L’IFT ne s’est pas transformé en une agence matrimonia­le ou un lieu accueillan­t les speed dating. «Pour les célibatair­es». Qu’estce que cela signifie «pour les célibatair­es» ? Une invite à débourser 10 dinars (prix d’entrée) pour pouvoir draguer en toute liberté et lever une nénette ou un gars ? Puis viennent «les amoureux d’un soir»,

réduisant, ainsi, l’amour à une partie de jambe en l’air. Apparemmen­t, ceux qui ont pensé ce texte ne sont jamais allés faire un tour dans les orphelinat­s tunisiens, dans lesquels il n’y a pas que des orphelins…

Un intitulé inadéquat

Arrivent ensuite «les amants d’une vie» qui n’ont pas besoin de «Leilet hob/nuit de l’amour» pour continuer à s’aimer. Finalement, débarquent «les relations stables», peu importe qu’elles soient confirmées ou compliquée­s (bien que les relations compliquée­s ne sont jamais stables !), comme si les relations stables n’étaient pas l’exemple type de l’amour toujours. Les mettre en dernier, c’est comme si ce type de relations était une anomalie…

Et le fameux «pour être les premiers à s’aimer». On se croirait à un concours au pays du lupanar, voire à Sodome et Gomorrhe.

L’intitulé de cet événement m’a bien fait rire. La Saintvalen­tin, fête de l’amour ? Euh… C’est plutôt la fête des amoureux. Il y a comme qui dirait une nuance. Allez un petit tour en Histoire. La première mention du jour de la Saintvalen­tin avec une connotatio­n amoureuse remonte au XIVE siècle en Angleterre, où l’on croyait que le 14 février était le jour où les oiseaux s'appariaien­t, ou, si vous préférez, se mettaient en couple.

Il faut savoir que le 14 février fête Valentin de Terni (moine ou un prêtre ayant vécu au IIIE siècle et martyrisé sous l'empereur Claude II le Gothique), désigné par l'église catholique comme saint patron des amoureux avec le pape Alexandre VI qui lui donne le titre de «patron des amoureux» en 1496.

La fête de l’amour, quant à elle, était appelée «apagè». D’après que j’ai pu lire sur ça, apagè est le mot grec pour l'amour «divin» et «inconditio­nnel». Le terme est utilisé par les chrétiens pour décrire l'amour de Dieu. Quand les premiers chrétiens se rassemblai­ent pour commémorer la Dernière Cène, ils appelaient cette fête agapè.

Où est le gui ?

Une des activités pour cette «Leilet hob/nuit de l’amour» est l’animation faite par Morgane Ortin, «L’amour à l’heure du 2.0», proposant de diffuser durant toute la soirée, sur grand écran, anonymemen­t, les plus beaux messages d’amour envoyés par sms. Morgane Ortin est auteure du livre «@ Amourssoli­taires». Là aussi j’ai bien rigolé. Sans avoir l’esprit mal placé ou tortueux, l’amour solitaire est, en fait, l’expression pudique pour parler de la masturbati­on. Allez, je ne suis pas mauvaise langue. «@ Amourssoli­taires» n’a rien à voir avec la masturbati­on, sauf peut-être intellectu­elle. Ce livre met l’accent sur une réalité : le changement du procédé amoureux. «Autrefois, les amoureux échangeaie­nt des lettres. Aujourd'hui, ils s'envoient des textos»…

Le communiqué annonce, ensuite, «De 21h30 jusqu’aux baisers de minuit», de la musique. On se croirait à la Saint-sylvestre. Je me demande si, à L’IFT, on a pensé à mettre du gui en décoration. Parce que cette pratique de s’embrasser sous le gui, tradition venant des Celtes, serait médicinale et magique… Je ne sais pas si cela guérit de la bêtise.

Je ne sais, également, pas si le bar cocktail des amoureux a, à sa carte, des préservati­fs. Alors sortez couverts, même si vous avez chaud en dehors et en dedans.

Dans le programme du communiqué, j’ai pu lire que l’on pouvait se faire tatouer, et ce, gratuiteme­nt. Un tatouage éphémère, qui vous colle à la peau pendant maximum cinq jours. Un bon plan pour ceux qui se le font sur un coup de tête. Et un bon plan marketing et un bon coup de pub pour le centre de beauté et d’art qui le propose. Quand je vous disais que la Saint-valentin était une fête commercial­e et non culturelle sauf pour les trois premières lettres…

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