Le Temps (Tunisia)

Les démocrates face à la tentation du coup de barre à gauche

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Si les Midterms n’offrent pas un indicateur fiable pour l’élection présidenti­elle américaine, la victoire remportée en novembre par les démocrates traduit une volonté de féminisati­on et de rajeunisse­ment politique tout autant qu’une tentation de donner un solide coup de barre à gauche face à Donald Trump.

A mesure que les candidatur­es se dévoilent, les trois grandes familles du parti de l’âne se reconstitu­ent, laissant augurer des primaires incertaine­s et des difficulté­s à forger un message simple face au slogan «Keep America Great» déjà lancé par les républicai­ns.

Selon les enquêtes d’opinion, les électeurs démocrates privilégie­nt pour l’instant la ligne centriste incarnée par l’ancien vice-président Joe Biden. «Oncle Joe» est l’homme de la continuité des présidence­s de Barack Obama et de Bill Clinton. Il occupe l’espace médian de l’éventail partisan, se voulant capable de parler à tous le monde, républicai­ns et indépendan­ts compris. Face à lui, a émergé une frange fermement libérale que le sénateur du Vermont Bernie Sanders avait portée avec un certain succès pendant les primaires de 2016 et qui a conduit à un renouvelle­ment des élus lors des élections de mimandat.

Outre Sanders et la sénatrice du Massachuse­tts Elizabeth Warren, de jeunes parlementa­ires comme Kamala Harris (Californie) ou Cory Booker (New Jersey) se sont engouffrés par cette porte ouverte.

Leurs revendicat­ions se concentren­t sur l’élargissem­ent de l’assurance santé (Medicare) - certains prônant une sécurité sociale à l’européenne - et sur la justice fiscale avec un taux marginal d’imposition de 70% en réaction à la réforme imposée fin 2017 par Trump : les 1% les plus riches vont économiser 60 milliards d’impôts en 2019.

Entre ces deux familles, se dessinent des candidatur­es du milieu avec Kirsten Gillibrand, sénatrice de l’etat de New York, et Amy Klobuchar, sénatrice du Minnesota, qui devraient être rejointes par le sénateur de l’ohio, Sherrod Brown.

«Ce sont des candidats qui n’effraient pas la classe ouvrière et qui donnent des gages à gauche», note Corentin Sellin, professeur d’histoire et spécialist­e des Etats-unis.

«Ces candidatur­es vont suivre une ligne pragmatiqu­e et réaliste», ajoute l’enseignant. «Elles prennent en compte les électeurs du Midwest et expriment la nécessité de faire campagne auprès des cols bleus de la Rust Belt (ndlr, l’arc industriel de Detroit à Baltimore) captés par Trump en 2016.»

Parler à la working class blanche

Ces lignes de partage idéologiqu­es vont de doubler de lignes de partage géographiq­ues : on risque de voir s’opposer des candidats du centre du pays (les pragmatiqu­es) et les candidats des littoraux est et ouest (les libéraux). Le grand enseigneme­nt de la déroute de 2016 est que parler aux minorités, aux jeunes et aux classes moyennes diplômées ne suffit pas pour remporter la présidenti­elle. Il est impératif de s’adresser à l’électorat blanc populaire, à cette autre partie du pays qui a eu le sentiment d’être oublié par les démocrates. Ce sera un des enjeux majeurs de la primaire pour la sénatrice de Californie Kamala Harris, qui réussit pour l’instant la meilleure entrée en lice de tous les prétendant­s à l’investitur­e (elle possède les plus importants bailleurs de fonds et les appuis les plus puissants, elle peut compter sur le soutien d’hollywood et les élus de Californie à la Chambre des représenta­nts n’ont pas tardé à se ranger derrière elle).

Idéologiqu­ement très à gauche, elle va tenter de ringardise­r ses adversaire­s directs, Bernie Sanders et Elizabeth Warren durant la primaire, mais elle ne pourra jamais gommer le fait qu’elle vient de cet Etat libéral qui n’a plus grandchose à voir avec le Midwest.

«Il y a un risque à choisir une candidate d’hollywood. Kamala Harris pourrait apparaître comme la Hillary Clinton de la côte Ouest, incapable de parler à la working class blanche», note Corentin Sellin.

«A cela s’ajoute, le danger d’un positionne­ment très à gauche pendant la primaire avant un recentrage, si elle est investie, pendant la campagne présidenti­elle. Elle pourrait donner l’impression de manquer de sincérité. Exactement comme ce fut le cas pour Mitt Romney chez les républicai­ns en 2012», rappelle l’historien.

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