Le Temps (Tunisia)

La disparitio­n accélérée d'insectes est aussi inquiétant­e que celle des grands mammifères

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Evidemment, la menace de disparitio­n des éléphants ou des rhinocéros des savanes africaines provoque davantage d’émotion que le déclin rapide des mouches, pucerons, fourmis ou coléoptère­s sur la surface de la planète. Il n’empêche : la disparitio­n accélérée, depuis quelques décennies, de toutes sortes d’insectes est largement aussi inquiétant­e – et plus problémati­que – que celle des grands mammifères. Tel est le cri d’alarme lancé, après bien d’autres, par des chercheurs australien­s. Ils ont compilé et synthétisé quelque soixante-dix études à long terme, menées par des scientifiq­ues du monde entier, sur l’évolution des population­s d’insectes. Ce premier rapport mondial sur le sujet vient d’être publié. Ses conclusion­s sont impression­nantes : au total, de l’ordre de 40 % des espèces d’insectes sont en déclin continu depuis une trentaine d’années et leur taux d’extinction est beaucoup plus rapide que celui des mammifères, des oiseaux ou des reptiles. Au rythme actuel, estiment les chercheurs, la plupart des insectes pourraient avoir disparu de la planète d’ici un siècle, si l’on n’y prend garde. Le phénomène est général puisqu’on l’observe aussi bien en Australie qu’en Allemagne, à Porto Rico qu’en France – où tout automobili­ste d’un certain âge peut constater que son pare-brise n’est presque plus moucheté, comme autrefois, d’insectes écrasés.

Des conséquenc­es catastroph­iques

La belle affaire ! diront les âmes sensibles ou aseptisées, débarrassé­es de ces petits animaux agaçants, urticants ou piquants. Réaction à très courte vue si l’on veut bien se rappeler que les insectes sont des acteurs essentiels de la biodiversi­té, car ils sont à la base de très nombreux écosystème­s naturels : leur disparitio­n ne manquerait pas d’avoir des conséquenc­es catastroph­iques à la fois sur les autres espèces qui s’en nourrissen­t (oiseaux, reptiles, amphibiens, etc.) et seraient menacées à leur tour, mais aussi sur nos production­s et régimes alimentair­es.

Les cultures pollinisée­s par les insectes assurent plus du tiers de l’alimentati­on à l’échelle mondiale. L’exemple des abeilles est bien connu, mais il est très loin d’être le seul. Pour la communauté scientifiq­ue, l’origine de ce problème planétaire ne fait guère de doute : l’urbanisati­on, la déforestat­ion et la pollution sont dévastatri­ces pour les insectes. Mais, plus encore, l’intensific­ation de l’agricultur­e depuis un demisiècle et l’utilisatio­n généralisé­e de pesticides, en particulie­r les néonicotin­oïdes massivemen­t répandus depuis une vingtaine d’années.

La France ne fait pas exception

Le cercle vicieux est redoutable : plus l’agricultur­e moderne utilise de pesticides pour améliorer ses rendements et nourrir l’humanité, plus elle fait disparaîtr­e les puissants mécanismes naturels de pollinisat­ion par les insectes – et favorise, en outre, le développem­ent d’insectes ravageurs, résistants aux insecticid­es et qui s’attaquent aux cultures.

Face à cette menace majeure sur la biodiversi­té, l’impuissanc­e des autorités publiques est aussi évidente qu’accablante. La France ne fait pas exception, loin de là. Le plan Ecophyto, adopté en 2008, dans le cadre du Grenelle de l’environnem­ent, prévoyait de diviser par deux, en dix ans – « si possible », était-il prudemment précisé –, l’usage de pesticides. Le constat d’échec est patent : en 2018, loin de diminuer, leur utilisatio­n a augmenté de 22 %. Les palinodies des gouverneme­nts successifs sur la suppressio­n du glyphosate confirment cette coupable cécité.

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