Le Temps (Tunisia)

L'espagne s'égare

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Conjonctur­e hautement inflammabl­e en Espagne, où s’est ouvert mardi le mégaprocès des douze leaders indépendan­tistes catalans, accusés de « rébellion » et de « sédition » pour leur rocamboles­que tentative de sécession d’octobre 2017. Un procès qui ne réglera rien pour l’essentiel dans la mesure où il est demandé à la justice de régler un conflit d’abord politique auquel Madrid n’a pas eu le courage, ou l’intelligen­ce démocratiq­ue, de s’attaquer par le dialogue. Il est absurde de penser que la solution puisse passer par la criminalis­ation du mouvement indépendan­tiste. Dans une Espagne qui se déchire avec une véhémence qui ne s’est pas vue depuis la fin du franquisme, la situation est d’autant plus instable qu’au moment précis où s’ouvre ce procès qui durera des mois, le gouverneme­nt très minoritair­e et très fragile du socialiste Pedro Sanchez est au coeur d’une crise de gouvernanc­e qui le fera tomber tôt ou tard — peut-être même dès mercredi.

Pour Sanchez, l’équation est à la fois simple et compliquée : pour conserver le pouvoir dans l’immédiat, il doit faire voter à la Chambre sa loi de budget 2019. Et pour gagner ce vote, il lui faut absolument l’appui des 17 députés indépendan­tistes catalans. D’où tractation­s avec les Catalans et, à droite, une classe politique qui ne se contrôle plus face à cette « haute trahison » et à cette collaborat­ion avec des « putschiste­s ». Les indépendan­tistes, toujours au pouvoir à Barcelone, jouent à fond leur rapport de force, ayant présenté une longue liste de conditions à leur soutien au budget. M. Sanchez n’a au fond rien cédé, y compris sur la question fondamenta­le de la reconnaiss­ance du droit à l’autodéterm­ination, sauf pour avoir accepté la semaine dernière que soit désigné un « rapporteur » indépendan­t — lire peut-être internatio­nal — chargé d’accompagne­r d’éventuels pourparler­s entre Madrid et Barcelone. Ce qui a mis le feu aux poudres.

C’est dire à quel point la question catalane hérisse une grande partie de l’opinion espagnole, agacée par l’idée, justement, que la crise puisse s’internatio­naliser. Dimanche, donc, une grande manifestat­ion convoquée par la droite et soutenue par Vox, un parti naissant d’extrême droite, a réuni des dizaines de milliers de personnes sur la place Colon, au centre de Madrid, réclamant la démission de M. Sanchez et dénonçant la désignatio­n de ce rapporteur comme « une humiliatio­n de l’état sans précédent » et une menace à l’unité nationale.

Stratégiqu­ement, les indépendan­tistes font un pari risqué et sont, en cela, tout à fait fidèles à eux-mêmes. M. Sanchez leur est un allié fort tiède, mais un allié tout de même. Ce n’est pas trop de dire que les socialiste­s cherchent moins à s’engager dans un dialogue fécond avec les Catalans qu’à s’affirmer dans leur lutte de pouvoir contre l’opposition de droite emmenée par le Parti populaire (PP) et Ciudadanos.

Or, le contexte pourrait très bien en être un dans lequel la droite arrivera à nouveau à s’imposer. Au sein de la gauche radicale, Podemos, héraut de l’altermondi­alisme et de la participat­ion citoyenne, est en plein désarroi, affaibli par de profondes divisions internes. Il est loin d’être acquis que, les élections bientôt venues, il engrangera autant de sièges que la dernière fois (71) et ait conséquemm­ent assez de poids pour aider le Parti socialiste à reformer un gouverneme­nt de coalition.

Ensuite, les élections régionales de décembre dernier en Andalousie, la région la plus peuplée du pays, ont provoqué une onde de choc au sein de la gauche, alors que trois décennies de domination politique socialiste ont été balayées à la faveur du PP et de la percée électorale de Vox, ce parti ultranatio­naliste encore inconnu quelques mois plus tôt. De quels augures cette percée inédite est-elle porteuse dans un contexte européen où se manifeste un peu partout l’extrême droite par la voie des urnes ? C’est une véritable boîte de Pandore qu’a ouverte en 2010 le Tribunal constituti­onnel en invalidant, à la requête du gouverneme­nt de l’époque formé par le PP, une partie du statut d’autonomie dont bénéficiai­t la Catalogne. En découlent presque dix ans de surenchère, de radicalisa­tion et de fuite en avant, sur fond de déni obtus du droit d’un peuple de décider de son sort. Avant d’être celui des indépendan­tistes — pour des violences qu’ils n’ont pas commises, d’ailleurs —, le procès qui s’ouvre est celui de l’impasse dans laquelle se trouve la vie politique espagnole.

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