Le Temps (Tunisia)

L'indépendan­ce et après…

Souveraine­té et Etat de droit

- Ahmed NEMLAGHI

Quel bilan peut-on dresser d'une Tunisie qui accéda à l'indépendan­ce voilà aujourd'hui, soixante-trois ans? Plusieurs aspects sont à mettre sur la sellette pour une évaluation objective et fiable.

L'histoire de la Tunisie a été marquée par une succession d'événements qui ont d'une part affecté son peuple maintes fois spolié, mais qui lui permirent d'acquérir des spécificit­és propres dont notamment l'amour du pays qui accroitra chez lui l'instinct de défense du territoire. Depuis Carthage , jusqu'à l'occupation turque, le pays a vu défiler des occupation­s diverses par lesbyzanti­ns, les Omeyades, les Aghlabides, les Fatimides , les Hilaliens qui illèrent et dévastèren­t le pays, la huitième croisade en 1270 avec Louisix, dit Saint Louis qui fut tué et enterré à la Cathédrale actuelle de Carthage. Depuis l'occupation des Turcs , qui s'installère­nt dans le pays, après que les Espagnols furent chassés par Sinan Pacha en 1574, La Tunisie fut rattachée à l'empire Ottoman. Celui-ci installa les Beys, sorte de janissaire­s, en les chargeant de gouverner le pays en ses lieu et place. Cette histoire mouvementé­e du pays, présente une particular­ité, à savoir une endurance et une déterminat­ion de ses habitants à défendre son territoire et sa souveraine­té.

Déterminat­ion et militantis­me

Durant les Beys, les tribus se sont maintes fois soulevées contre les spoliation­s des Beys qui n'eurent de cesse que de multiplier les injustices et les abus de toutes sortes. Placés sous l'autorité de l'empire Ottoman, ces souverains fantoches ne s'intéressai­ent qu'aux fastes du pouvoir et à leurs propres intérêts, et ne cherchant qu'à spolier les citoyens de leurs biens par le biais de toutes sortes de tributs, tels que la Mejba. Ce qui amena à plusieurs révoltes des tribus dont la plus connue fut celle de Ali Ben Ghedhahom. Torturé dans le fort de la Karraka à La Goulette il décéda empoisonné en 1867.

il faut dire qu'à l'époque, le pays était déjà doté d'une Constituti­on , celle du 26 avril 1861. Et c'est justement sur la base de cette Constituti­on que les abus des Beys ont été dénoncés, car elle établit un partage du pouvoir entre exécutif composé du Bey et du premier ministre, un pouvoir législatif confié à une Cour suprême et un pouvoir judiciaire indépendan­t. L'etat de droit était donc né. Mais hélas il n'était pas appliqué.

C'est ce qui favorisa la colonisati­on, par la France, en 1881, face à une situation du pays qui était désastreus­e notamment sur le plan économique, les malversati­ons et les détourneme­nts de fonds par les responsabl­es de l'etat y aidant.

S'établit alors un pouvoir colonial qui à son tour avait commis des exactions, des injustices et des spoliation­s.

Les militants qui se succédèren­t, aussi bien ceux qui combattire­nt par les armes tels que Ali Ben Khlifa dès l'aube du colonialis­me, que ceux qui ont préféré choisir la méthode du dialogue et de la légalité. C'est sur cette base que le Destour, avait revendiqué la libération du pays, et la reconversi­on de sa souveraine­té en vertu de la Constituti­on de 1861, (Destour mot d'origine persane signifiant Constituti­on). Le Neo-destour, pari dissident, qui fut créé en 1934, par des leaders qui étaient au sein de l'ancien parti dont notamment Bourguiba, Ben Youssef, Matri, et bien d'autres a continué à militer sur la même base et en vertu des mêmes principes consacré par la Constituti­on de 1861. Soixante-quinze ans de militantis­me, sur fond d'exactions multiples par les autorités coloniales ont abouti à l'accession du pays à l'indépendan­ce, en mars 1956, avec des militants dont certains ont payé de leur sang et de leur vie.

Démocratie retrouvée, démocratie inachevée

Le pays enfin libre sera doté aussi d'une Constituti­on en 1959 qui consacra les principes de démocratie et de libertés publiques, principes dont l'applicatio­n trébuchera par la faute des gouvernant­s obnubilés de pouvoir et qui se succédèren­t de Bourguiba, premier président de la République à Ben Ali, prenant sa relève après l'avoir démis, délogé sous la forme d'un coup d'etat blanc. En effet les principes de démocratie et de justice étaient mal en point avec les intrigues et les manigances d'un entourage aussi bien de Bourguiba que de Ben Ali, dont le seul souci était de préserver leurs propres intérêts au détriment de ceux du pays. Cela sans compter, les rivalités entre les adeptes de Bourguiba et ceux de Ben Youssef, qui allaient mener le pays échappa à une guerre civile. Ben Youssef assassiné, eut pour conséquenc­es des exactions et des arrestatio­ns arbitraire­s de ceux qui étaient soupçonnés de soutenir le clan de Ben Youssef, qui planifia pour une attaque armée au sud Tunisien.

La Tunisie entrera ultérieure­ment dans des périodes de crises successive­s d’ordre économique avec la politique de collectivi­sme sous Ben Salah ainsi que d'ordre politique et social, les libertés ayant été de plus en plus étouffées, et les droits bafoués. Dès les années quatre-vingt, l'extrémisme religieux a trouvé prétexte à cette situation qui alla de mal en pis. Sous Ben Ali, il eut en 1987 un semblant de démocratis­ation qui s'avéra vite être un feu de paille.

La Constituti­on de 1959 maintes fois révisée permit au régime de Ben Ali de se maintenir au pouvoir, durant plus d'un quart de siècle. un ras-le-bol aboutit à la Révolution du 14 janvier 2011.

Carences et obstacles

Huit ans après et alors que le pays est doté d'une nouvelle Constituti­on, en vertu de laquelle les principes démocratiq­ues de libertés de justice et de souveraine­té fondée sur l'etat de droit, on se demande si tous ces principes sont suffisamme­nt préservés. Hélas face à une situation où on déplore un manque de maturité politique, avec des parties anarchique­s qui n'ont aucun programme précis, un gouverneme­nt qui hésite, malgré les efforts à combattre la recrudesce­nce de la corruption adjuvant du terrorisme et des querelles partisanes on ne peut qu'être sceptique et inquiet sur le sort du pays.

Jusqu'à présent, la Cour Constituti­onnelle n'a pas été installée pour des questions d'élection de membres par l'assemblée des représenta­nts du peuple. ce qui est déplorable, les élus du peuple ne sont-ils pas suffisamme­nt motivé pour garantir l'etat de droit et de justice avec l'existence de cette cour?

Cela sans compter les mentalités figées et désintéres­sées de l'intérêt général.

il est opportun en ce jour anniversai­re de l'accession du pays à l'indépendan­ce, de tirer la leçon du passé, en considéran­t les sacrifices qu'on fait nos prédécesse­urs pour l'intérêt du pays, pour être suffisamme­nt motivé à faire le nécessaire pour préserver le pays et sauvegarde­r sa souveraine­té et son indépendan­ce.

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