Le Temps (Tunisia)

Histoire d’oiseau rare et de bons poissons !

Ennahdha en « classe »; le syndicat se métamorpho­se :

- Raouf KHALSI

Il faudra le miroir aux alouettes des chasseurs de jadis pour attraper « l’oiseau rare », dénominati­on à la mode du côté de Montplaisi­r.

La formation politique du pays qui s’acharne le plus à l’attraper c’est bien Ennahdha. Elle raisonne comme ce grand club de football à la recherche d’un avant-centre. Cette métaphore : « oiseau rare » est en effet récurrente dans le jargon sportif. Elle l’attrapera et elle le mettra en cage. Du déjà-vu. Mais il n’y a pas qu’ennahdha qui soit à la recherche d’un poulain, encore une métaphore.

Il faudra le miroir aux alouettes des chasseurs de jadis pour attraper « l’oiseau rare », dénominati­on à la mode du côté de Montplaisi­r. La formation politique du pays qui s’acharne le plus à l’attraper c’est bien Ennahdha. Elle raisonne comme ce grand club de football à la recherche d’un avant-centre. Cette métaphore : « oiseau rare » est en effet récurrente dans le jargon sportif. Elle l’attrapera et elle le mettra en cage. Du déjà-vu.

Mais il n’y a pas qu’ennahdha qui soit à la recherche d’un poulain, encore une métaphore.

L’UGTT est partie à son tour à la chasse. Ou, plutôt, à la pêche. Elle entend jeter ses filets dans des mers troubles. Des filets cousus-main, aux mailles acérées et qui sélectionn­eront les poissons à prendre. Après on les nourrira dans un aquarium. Un peu dans l’esprit très chrétien de ce qu’on appelle « la parabole du filet » sur la nuit des temps et le tri des âmes. On prend les bonnes âmes, c'est-à-dire les âmes faibles. L’UGTT choisira ses poissons politiques et décidera de leur sort selon qu’ils leur seront assujettis ou non.

On retourne en classe

Voyons avec Ennahdha. Depuis quelques temps en effet, le parti de Rached Ghannouchi donne l’impression de tituber. Il n’est plus dans le triomphali­sme de 2011. Il n’est plus dans la logique de l’amende honorable de 2014 avec le consenteme­nt au processus d’«attawafok» (le consensus et la cohabitati­on) sur lesquels se sont mis d’accord les deux patriarche­s. Une cohabitati­on forcée certes, mais qui s’est mue en complicité entre deux pôles (Nida et Ennahdha) dans tout ce qui pouvait verrouille­r le pays et provoquer d’incessants remous à la Kasbah… Jusqu’à ce que Youssef Chahed s’insurge contre les caprices de Hafedh Caïd Essebsi et qu’il réussisse à se défendre crânement contre vents et marées. Signe avantcoure­ur d’ailleurs de l’éclatement de Nida Tounès et de la sédition menée par Sofiane Toubel qui a

réussi à placarder le fils du Président. Ennahdha s’est certes rebellée contre le Président. Sauf que Chahed n’est pas près de se laisser domestique­r par elle. Il a choisi une troisième voie avec la mise en place de Tahya Tounès. Et l’évocation d’al Banna, Ennahdha l’a très mal pris.

Voilà donc que Rached Ghannouchi se retrouve à devoir tout recommence­r dès le début.

Il va donc en « pèlerinage » dans la ville des lumières, multiplian­t les contacts et donnant gage de civilité, de laïcité et de démocratis­ation du mouvement. Car les ondes de choc de Trump à propos de l’islam politique le classant terroriste sans distinctio­n est parvenue jusqu’à l’elysée. Par ailleurs la montée des populismes en Europe, avec un Salvini pur et dur et un parlement européen qui ne parvient pas à en endiguer le fléau, sonne comme l’antithèse de l’obséquieus­e adhésion d’obama à l’islam politique.

Maintenant Ennahdha parle d’intrusions étrangères dans la vie politique nationale. Si, placide et tout à fait sûr de lui, Youssef Chahed ne prête guère attention aux tentatives de manipulati­ons sionistes, Ennahdha, elle en prend un sacré coup. Sauf que lorsqu’elle se dresse contre « ces techniques d’influence de la vie politique tunisienne » elle omet d’avoir refusé de voter l’article proposé dans la constituti­on de 2014, article incriminan­t toute normalisat­ion avec Israël, simplement parce que ses objecteurs de

conscience qataris et Turcs ont des liens étroits avec Tel Aviv….et un ennemi commun : Bachar Al Assad.

Le désarroi, encore infléchi par un syndrome survivalis­te (comme nous l’avons déjà décrit dans de précédente­s livraisons), fait qu’ennahdha prête aujourd’hui, tiens, tiens, attention aux sondages qui la donnent en régression et les conspue même. Ces sondages étaient fiables à ses yeux tant qu’ils les plaçaient aux avant-postes. Ils ne le sont plus maintenant que sa courbe décline.

Voilà donc que les maitres de Montplaisi­r changent leur fusil d’épaule et brandissen­t un chantage de toujours. Ils cibleront donc l’oiseau rare pour lequel ils voteront. Mais, face à la décrépitud­e des partis de 2014 (et cela ne les épargne guère), Abdelhamid Jelassi nous sort un constat « succulent » : « … Ennahdha est un élève moyen dans une classe de médiocres » !

Nous aurons tout le temps d’évaluer le niveau de cette classe. Une classe qui pourrait être composée d’élèves moyens, avec un élève médiocre : Ennahdha peut-être…

Nouvelle vocation.

Maintenant L’UGTT. Le plus ancien syndicat d’afrique et du monde arabe est en train de changer de vocation. A ses heures, rusé et prévenant, Bourguiba fondait le syndicat dans le parti et dans le pouvoir législatif. Mais le syndicat n’en restait pas moins dans son rapport contractue­l avec le gouverneme­nt. « Rapport contractue­l » auquel a dérogé Habib Achour, selon les termes de Hédi Nouira au lendemain des douloureux événements du « jeudi noir » de janvier 1978. Avec Ben Ali, le syndicat est néanmoins redevenu en odeur de sainteté au Palais, d’abord avec Ismail Sahbani, emprisonné par la suite à la faveur d’une ignoble cavale ; puis avec Abdesselam Jrad que l’on voyait se fondre dans des louanges à l’adresse du président déchu. Rien de mal. Tout le monde le faisait. Mais, au moins, les équilibres socio-économique­s étaient bons. Carthage valait bien une messe. Après la révolution la donne a changé du tout au tout. Le syndicat comme Ennahdha, comme Nidaa Tounès, comme la Gauche a récupéré la révolution. Puis, comme par un feu nourri, il avalisait toutes les dérives déraisonna­bles et tous les excès revendicat­ifs.

Il faut bien reconnaitr­e qu’à un moment historique, crucial et dangereux dans la vie d’un pays qui risquait de basculer avec la Troïka, L’UGTT a été le fer de lance d’un Quartet imposant le changement immédiat et l’installati­on d’un gouverneme­nt de technocrat­es conduit par Mehdi Jomaa. Le Nobel de la paix en fut le couronneme­nt. Sauf qu’avec Taboubi et, après avoir consommé toutes les revendicat­ions tout en inventant encore tous les jours, le syndicat est en train de glisser dans la politique, au nom d’une vision pour le pays et de ce qu’il appelle « une sortie de crise ». L’idée de se présenter aux élections est en effet en train de germer. On verra bien. Mais, entre-temps, il concoctera un programme. Et il affirme tout haut que ses bases voteront pour celui ou pour ceux qui adopteront son programme. Les heureux poissons se laisseront prendre donc dans ses filets. Au final, le syndicat jouerait aux marionnett­istes et le gouverneme­nt lui serait soumis. Au diable l’ancienne dialectiqu­e, bienvenu au mélange des genres.

Jeu dangereux en somme. Et puis n’est pas Lech Walesa qui veut.

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