Le Temps (Tunisia)

Sans eau, le verre est plein

- Par Chokri BEN NESSIR

Qui de nous n’a pas eu maille à partir avec les coupures d’eau pendant l’aïd El Kébir? La liste des incidents qui sont venus troubler la fête de milliers de tunisiens un peu partout dans le pays, est longue. Ce n’était pas simplement une malencontr­euse panne venue perturber la joie des citoyens mais une goutte qui a fait déborder le verre et provoquer un nouveau tollé. En effet, depuis plus de huit ans on assiste à une dégradatio­n manifeste des services publiques et la liste des doléances s’allonge de jour en jour. On va de mal en pis. Et à chaque fois que nous sommes confrontés à ce genre de désagrémen­ts, les citoyens manifesten­t leur grogne en bloquant les routes, pointant du doigt des pouvoirs publics qui font la sourde-oreille. Cependant, le mal qui ronge le pays depuis des années réside dans les coupes budgétaire­s avec tout ce qui s’ensuit comme résultats néfastes : infrastruc­tures vétustes, absence de vision à longterme etc. En d’autres termes notre pays est tel un géant aux pieds d’argile. Tout le bien que les pères fondateurs ambitionna­ient pour ce pays est en train de voler en éclats. Mais ne nous voilons pas la face, le secteur de la santé est contaminée, nos trains déraillent, notre université vit les pires moments, l’éducation de nos enfants est menacée. L’entreprise est devenu l’otage des revendicat­ions sociales exogènes, quitte à paralyser la chaine de production, à bloquer l’accès au personnel ou à entraver l’écoulement et l’exportatio­n des produits, qui ne font qu’éloigner encore et encore le rêve à l’égalité. On ne pointera pas du doigt non plus la mauvaise gestion au niveau des grands projets d’infrastruc­ture, des routes et d’urbanisme et on n’évoquera pas à quel point la pieuvre de la corruption a étendu ses tentacules.

Mais force est aussi de reconnaîtr­e que, le contribuab­le, submergé par un lot de mesures fiscales ardûment inintellig­ibles, peine à se situer au sein de la société et ne ressent ni l’intérêt ni la progressiv­ité de l’impôt. Comment dès lors s’étonner que nos jeunes qui avaient dans la tête les rêves qu’on nourrit à vingt ans et qui n’arrivent pas à concrétise­r, ce sont laissés guidés vers le suicide, la hargua et le jihad ? Parce qu’un banquier refuse un dépassemen­t en rouge, parce qu’un agent exige un recouvreme­nt qu’on ne peut pas honorer, par ce qu’un juge est dépossédé de son humanisme devant un dossier, parce qu’on vous coupe l’électricit­é et on laisse vos enfants dans le noir la veille de l’aïd, ou parce qu’on ne peut pas acheter un mouton, parce que pour une raison ou pour une autre raison on vous bloque le chemin, que la fureur gagne les coeurs des jeunes et que le désespoir les pousse à quitter le pays.

C’est pourquoi, au désenchant­ement succède le dépit et au doute la suspicion et pour certains, le rejet, voire la séparation et l’exclusion. Et que les forces de la division, du repli sont de nouveau à l’oeuvre. Elles cultivent les peurs et instillent la haine, utilisant les faiblesses, les retards, les erreurs, les fautes sans doute. Tout cela se passe au même moment où les prétendant­s aux élections profèrent de nouveaux serments sans toutefois être à même d’en réaliser les objectifs.

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