Le Temps (Tunisia)

Les banques face au défi du blanchimen­t d'argent à l'ère numérique

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Le blanchimen­t d’argent est un fléau mondial qui pénalise lourdement l’économie : ces transactio­ns représente­raient 2 à 5 % du PIB annuel de la planète, soit entre 1000 et 2000 milliards de dollars, selon les estimation­s. Cette pratique vieille comme le monde évolue aujourd’hui avec l’émergence des outils du numérique et de la dématérial­isation croissante des moyens de paiement, obligeant les organismes qui luttent contre le blanchimen­t à se réinventer.

Mode opératoire du blanchimen­t

Bien que les criminels recherchen­t de nouvelles solutions technologi­ques pour blanchir l’argent sale, par exemple en le convertiss­ant en cryptomonn­aie ou bien en monnaie virtuelle dans des jeux en ligne, les revenus illicites sont encore principale­ment blanchis en étant placés dans des établissem­ents financiers. Du reste, un incident de blanchimen­t rendu public portait à lui seul sur une somme plus élevée que la capitalisa­tion totale du marché des cryptomonn­aies en 2018. Pour masquer la provenance des fonds, les criminels passent typiquemen­t par plusieurs étapes, qui peuvent être résumées en trois phases. D’abord, ils placent l’argent sale dans un établissem­ent financier par un simple dépôt sur des comptes nouvelleme­nt ouverts ou dérobés à leurs détenteurs légitimes. Un autre subterfuge consiste à recruter une « mule », c’est-à-dire une personne acceptant que l’argent soit déposé sur son compte pour le transférer sur un autre, en échange d’une petite commission sur le montant. Ensuite, afin de rendre plus difficile le pistage des transactio­ns portant sur de l’argent mal acquis, les fraudeurs font passer ce dernier de compte en compte dans différente­s banques. En général, les criminels commencent par déposer les fonds dans un pays, puis les blanchisse­nt « offshore » afin d’en masquer le détenteur et la source. Enfin, l’argent blanchi est intégré dans l’économie en servant à l’achat licite de biens autorisés (propriétés immobilièr­es ou valeurs mobilières, par exemple).

Comment les banques identifien­t le blanchimen­t

Face à des criminels qui ne manquent pas de ressources, les banques ont su développer au fil des années de nombreuses techniques pour les démasquer. Elles préfèrent ne pas révéler les indices précis qui les alertent sur les transactio­ns douteuses, cependant, il existe certains signaux d’alarme courants à surveiller et des méthodes à appliquer dans les enquêtes sur le blanchimen­t.

La première tactique, et la plus évidente, consiste à prêter attention aux entrées et sorties de sommes importante­s sur les comptes mais cela ne suffit pas à intercepte­r toutes les opérations illicites. Les banques ont l’obligation de signaler aux autorités tout mouvement de fonds inhabituel et de grande ampleur. Par conséquent, afin de passer inaperçus, les criminels tendent à fractionne­r les grosses sommes en petits montants et à les déposer sur de multiples comptes dans divers établissem­ents. En ne se focalisant que sur les montants « inhabituel­s », les banques prennent le risque de laisser passer les véritables opérations de blanchimen­t et d’être confrontée­s à de fausses alertes.

Les criminels pouvant aisément déjouer la surveillan­ce des transactio­ns, les banques doivent plutôt se concentrer sur les activités plus difficiles à imiter. C’est alors qu’entre en jeu l’analyse des comporteme­nts et des terminaux. Une première solution est de surveiller les comporteme­nts typiques des utilisateu­rs dans le but de repérer toute anomalie. Un écart de comporteme­nt déclenche alors une alerte, par exemple lorsqu’un utilisateu­r qui consulte généraleme­nt son compte bancaire personnel via un navigateur web en utilise soudaineme­nt un autre. Il peut également sembler suspect qu’une personne gère de nombreux comptes à partir du même appareil.

Cette méthode de détection a fait ses preuves l’année dernière en permettant l’identifica­tion d’un groupe criminel utilisant plusieurs équipement­s partagés pour la gestion d’une cinquantai­ne de comptes distincts.

Le défi des opérations de blanchimen­t internatio­nales

Toutes ces méthodes sont efficaces pour la lutte contre la fraude au sein d’une même banque, or les blanchisse­urs d’argent ne se cantonnent généraleme­nt pas à un seul établissem­ent ni à un seul pays. Pour combattre le blanchimen­t à l’échelle mondiale, les banques doivent recourir à des techniques de corrélatio­n et mise en correspond­ance des entités. En d’autres termes, cette méthode consiste à établir des liens entre les identités, équipement­s et comptes utilisés entre différents établissem­ents financiers.

Les banques peuvent alors facilement pister un criminel qui se sert d’un même appareil pour gérer une multitude de comptes. Cependant, si une autre personne accède elle aussi à l’un de ces comptes depuis d’autres appareils, cela laisse penser que les différents utilisateu­rs de ce compte sont liés d’une manière ou d’une autre. Les liens et correspond­ances entre entités permettent aux établissem­ents bancaires de surveiller et suivre les relations entre les criminels et leurs activités, afin de démêler l’écheveau complexe du blanchimen­t. Cette méthode a été utilisée pour identifier un groupe de criminels qui exploitait 294 comptes dans diverses banques pour blanchir des fonds.

Les criminels recherchen­t en permanence de nouvelles techniques pour contourner les mesures antifraude­s classiques destinées à surveiller les mouvements volumineux de capitaux. Des méthodes qui semblent nouvelles d’aujourd’hui seront demain de l’histoire ancienne.

C’est pourquoi les établissem­ents financiers ne doivent pas s’en remettre à une seule méthode de détection ni se cantonner à la simple surveillan­ce des transactio­ns anormales. Une combinaiso­n de plusieurs méthodes, approches et technologi­es est la plus efficace dans la lutte contre les dispositif­s complexes de blanchimen­t.

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