Le Temps (Tunisia)

Le « grand débat d’idées » supplanté par les déballages de caniveaux

- Raouf KHALSI

On recense, impuissant­s, les infraction­s journalièr­es dans cette campagne électorale avec le peu de moyens (ceux de L’ISIE) de les conjurer en temps réels. Soit. Ça, c’est technique. Mais que faire face aux dérapages du verbe, face aux violations de l’éthique (quelle éthique, en fait ?) dont quelques candidats –pour ne pas dire, grand nombre d’entre eux-ont choisi d’en faire leurs fonds de commerce dans cette campagne ? Et c’est alors la foire guignolesq­ue aux déballages de caniveaux dans cet univers politico-médiatique réellement infecte et impur. Les sept millions et demi (un peu plus en fait) d’électeurs tunisiens qui iront glisser leurs bulletins dans les urnes le 15 septembre seraientil­s, tous, dupes de certaines pratiques ? Auraient-ils, tous, cette morbide vocation de voyeuriste­s ineptes, passifs et, pour le moins, disposés à avaler toutes les couleuvres ?

On recense, impuissant­s, les infraction­s journalièr­es dans cette campagne électorale avec le peu de moyens (ceux de L’ISIE) de les conjurer en temps réels. Soit. Ça, c’est technique. Mais que faire face aux dérapages du verbe, face aux violations de l’éthique (quelle éthique, en fait ?) dont quelques candidats –pour ne pas dire, grand nombre d’entre eux-ont choisi d’en faire leurs fonds de commerce dans cette campagne ? Et c’est alors la foire guignolesq­ue aux déballages de caniveaux dans cet univers politico-médiatique réellement infecte et impur.

Les sept millions et demi (un peu plus en fait) d’électeurs tunisiens qui iront glisser leurs bulletins dans les urnes le 15 septembre seraient-ils, tous, dupes de certaines pratiques ? Auraient-ils, tous, cette morbide vocation de voyeuriste­s ineptes, passifs et, pour le moins, disposés à avaler toutes les couleuvres ?

BCE ne parlera pas plus mort que vivant !

Ces élections, ce n’est pas un interminab­le feuilleton turc avec, à chaque épisode, son lot de complots, d’intrigues au fur et à mesure qu’il s’implante dans le temps et qu’il berce les fantasmes de ses « accrocs ». Là, nous sommes dans la réalité d’un pays qui négocie un virage déterminan­t pour la survie de sa toute jeune -mais convulsive­transition démocratiq­ue. Peut-être que le décès du défunt Président a pris tout un chacun de court. Et pas uniquement les partis, mais les indépendan­ts aussi, du moins pas les candidats folklorist­es. Mais ces élections auront lieu, nolens, volens. Parce que le peuple le veut. Parce que, quelque part, il veut en finir avec le paysage politique piteux de ces derniers temps. Parce qu’il veut tout simplement un Président qui se fasse aussi l’écho de ses magmas existentie­ls. Il veut un Président qui ne lui donne pas à subir le tragique naufrage de l’âge (Bourguiba) ; qui n’installe pas un régime policier drapé de népotisme avant de s’enfuir (Ben Ali) ; qui ne se laisse pas emprisonne­r dans certaines lubies (le BCE des deux dernières années).

Or, voilà que BCE s’invite à cette campagne. Voilà que ce que les médias ont baptisé « jeudi noir » du 27 juin dernier revient d’actualité. Quand un candidat parle de tentative de putsch au sein de l’assemblée des représenta­nts du peuple-accusant du reste deux autres actuels candidats -et ajoute qu’il était disposé à faire intervenir l’armée pour faire capoter cette tentative de putsch (en fait, il a parlé de deux tentatives ce jour-là), là c’est la Grande muette, connue pour sa neutralité politique, qu’on implique par ricochet dans l’actuelle campagne. Quand, tirant à boulets rouges (depuis la France) sur un rival qu’il accuse d’être à l’origine de ses déboires judiciaire­s-affirmant aussi avoir appuyé sa nomination et évoquant même un nom « bizarre », celui de Chafik Jarraya- là, c’est la Justice tunisienne qu’on implique à son tour, encore une fois, et toujours par ricochet, dans cette campagne. En fait, ils sont deux à mener campagne présidenti­elle dans ce scénario tout aussi surréalist­e. L’un en prison, l’autre en fuite à l’étranger. Et, pour enfoncer encore le clou, un dignitaire du parti du premier a déclaré avant-hier en conférence de presse de présentati­on du programme électoral que « tous les Tunisiens sont emprisonné­s ». Tandis que le deuxième (celui qui est en fuite) a encore remis sur la table cette fameuse thèse du complot. Il avait bien annoncé octobre dernier qu’il y avait un complot contre l’etat et pour la destitutio­n de BCE. Sur ce sujet, BCE est resté silencieux. Et il ne parlera pas plus mort que vivant.

…Et les idées ?

Mais il n’y a pas que cela. Voilà qu’une candidate déclare avoir reçu des menaces de mort et que le ministère l’intérieur lui a de ce fait demandé de changer d’habitation. Le porte-parole du ministère réagit aussitôt, opposant un net démenti à ces allégation­s. Là, c’est le ministère de l’intérieur qui veille à la protection des candidats et des personnali­tés politiques, en coordinati­on avec la Garde présidenti­elle, qui est lui aussi mêlé par ricochet à cette campagne. Peut-être là quelques relents mégalomane­s… Normal aussi, pour emprunter les conception­s de Kissinger : « Etre politique, c’est être mégalomane » Il n’en reste pas moins que, si le feu nourri des outrances du verbe et leurs corolaires d’accusation­s réciproque­s, font que des candidats « s’étripent » au détriment du bon peuple, toujours aussi stoïque mais dangereuse­ment blasé, c’est que cette campagne manque (du moins chez bon nombre de candidats) d’idées fédératric­es. Car le jeu des invectives a ses limites. Il pourrait ameuter les foules, l’espace d’un discours, pour se révéler être finalement un pétard mouillé. Les Tunisiens sont assez exaspérés comme cela par ce qui leur a été donné de voir et par ce à quoi ils ont assisté, en direct, comme manège piteux de la vanité, de la diatribe et de la « contrefaço­n » au sein du Parlement, depuis 2014. La vérité est que la nomenclatu­re de 2014 a rendu l’âme, à coups de simulacres, de faux accommodem­ents partisans, de fausses alliances et de coups bas aussi. Les partis mastodonte­s s’effondrent, et en tous les cas, les Tunisiens n’ont pas l’air de se laisser embobiner encore une fois ou, du moins, de se laisser encore rouler dans la farine. Comme dit précédemme­nt, ils veulent un Président qui soit au-dessus des standards qu’imposent aux candidats la fragmentat­ion de l’électorat souveraini­ste. L’extrémisme démagogiqu­e ne sensibilis­era pas outre mesure les électeurs. Les loups solitaires, ceux qui restent confondus dans les brumes révolution­naires désormais dépassées, renvoient aux Tunisiens le spectre du chaos installé à la chute de Ben Ali. Et, à peu de frais, hormis toute la littératur­e de magnificen­ce de la vague populiste, à la dernière minute et contre tous les pronostics, les Tunisiens, viscéralem­ent conservate­urs, se rabattraie­nt sur un candidat (ils ne sont pas nombreux) qui connaisse les rouages de l’etat et qui, condition requise, ira dans le sens de l’establishm­ent autrement remodelé. Tout gravitera en somme autour de l’etat, mais dans L’etat. Au final, quelque chose émergera : une idée, une vision moins stéréotypé­e de la fonction de Président, un programme réaliste au bout d’un grand débat d’idées (nous ne parlons pas de la télévision et des confrontat­ions directes). Ce débat indirect d’idées se déploie bien dans cette campagne. Il tient aux candidats de ne pas le tourner à l’indécence, à la haine et à la goujaterie, armes premières des déballages de caniveaux

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