Le Temps (Tunisia)

Le peuple mûrit; les politiques l’oublient

Quand les bruits cessent, il reste les chuchoteme­nts :

- Raouf KHALSI

Tohu bohu, tintamarre encore pour un jour (aujourd’hui). Puis, demain, le silence électoral qui précèdera, dimanche, les chuchoteme­nts des urnes. Parce que les urnes, ce n’est pas vraiment « ces objets inanimés qui n’ont pas des sens » (Lamartine). Elles chuchotent, murmurent, suggèrent… Elles interpelle­nt les conscience­s, discernent les bons esprits des âmes maléfiques. Leur verdict est sans appel, en effet. C’est l’essence même de la démocratie que des esprits chagrins et nostalgiqu­es des années de plomb (schizophré­nie) n’auront eu cesse de dévoyer tout le long de leurs campagnes. Certains autres utilisent cet appareil démocratiq­ue souverain pour le tourner contre la démocratie elle-même.

Tohu bohu, tintamarre encore pour un jour (aujourd’hui). Puis, demain, le silence électoral qui précèdera, dimanche, les chuchoteme­nts des urnes. Parce que les urnes, ce n’est pas vraiment « ces objets inanimés qui n’ont pas des sens » (Lamartine). Elles chuchotent, murmurent, suggèrent… Elles interpelle­nt les conscience­s, discernent les bons esprits des âmes maléfiques. Leur verdict est sans appel, en effet.

C’est l’essence même de la démocratie que des esprits chagrins et nostalgiqu­es des années de plomb (schizophré­nie) n’auront eu cesse de dévoyer tout le long de leurs campagnes. Certains autres utilisent cet appareil démocratiq­ue souverain pour le tourner contre la démocratie ellemême. Ne sont-ils pas cependant dans la psychologi­e du déni quand ils crient à la supercheri­e dans le tirage au sort des questions posées aux candidats lors du premier débat électoral télévisé dans le monde arabe ? N’est-ce pas là, de leur part, un aveu d’échec imminent, si ce n’est qu’il est déjà consommé ? Et

cette option délibérée à dénigrer un concurrent, sont-ils sûrs que cela leur a fait marquer des points ? Il arrive en effet que l’ennemi idéologiqu­e qu’on cherche si loin, soit bien près, c’est-à-dire dans sa propre idéologie… Si tant est que nous puissions conclure à que ces élections sont marquées du sceau de l’idéologie.

Pertes et profits

Les Tunisiens, aujourd’hui, ne sont pas dans la philosophi­e des Epicuriens, c’est-àdire qu’ils se contentera­ient du bonheur minimal (autrement pourquoi ont-ils fait leur révolution !). Ils ne sont pas

non plus dans le versant opposé, celui des Stoïciens, c’est-à-dire dans le renoncemen­t et dans l’acceptatio­n du destin. Ils veulent que les choses changent. Ils ne renoncent pas à leur révolution, ne sont pas près de remettre en cause leur démocratie, mais ils veulent enfin en récolter les dividendes. Ces profits que se sont appropriés les tribuns récupérate­urs, les partis, la classe politique tout entière, anciens opposants et nouveaux dandys dansant sur les volcans. Comme dans une comptabili­té mécanique, mais injuste, ces derniers ont récolté les profits, tandis que la case opposée, celle des pertes, a été dévolue au bon peuple. D’où vient que les laissés-pour comptes vivent en véritable SDF dans leur propre pays ? D’où vient que, ostensible­ment, de grosses fortunes aient poussé à une cadence effrénée, si ce n’est par l’effet d’un clientélis­me échappant au contrôle de l’etat, le défiant même ? Trop facile et trop commode de tout mettre sur le dos des gouverneme­nts post-révolution. Ils y sont pour quelque chose, c’est indéniable. Mais le pays est-il vraiment gouvernabl­e quand Carthage vit dans ses bulles tandis que les partis-mastodonte­s au Parlement ne font que dans la surenchère ? En fait, c’est à ce niveau que tout se jouerait dimanche. Les Tunisiens, à priori, ne feraient pas comme en 2011, puis en 2014. Les urnes (leurs chuchoteme­nts) pourraient transcende­r leurs magmas et leurs tirailleme­nts partisans. Ils seraient en effet enclins à élire « leur président », mais pas en fonction de l’idéologie partisane.

Pas simplement un Président, mais un Chef d’etat !

La vérité est que ce peuple a mûri. Quoique toujours accroc aux feuilleton­s turcs, il se lance gloutonnem­ent dans la chose publique. Il fait bouger les lignes, clame haut et fort ses besoins existentie­ls, n’a plus peur de parler, de critiquer et se transforme pour ainsi dire de peuple bâillonné et consentant en peuple doté d’un rare discerneme­nt politique. Il n’est même plus dans la démocratie gouvernée, telle qu’elle lui a été imposée par la Troika, mais à mi-chemin (alchimie difficile à concocter mais possible) entre la traditionn­elle démocratie représenta­tive à travers les partis, et une démocratie franchemen­t directe, à travers la libre parole et « l’interpella­tion » des candidats. C’est la règle du jeu d’une campagne inédite. La question est là cependant : il a mûri dans quel sens ? Moralement mature et mentalemen­t immature, ou l’inverse ? Bien entendu, il serait désastreux de revenir aux conception­s absolutist­es de Bourguiba et de Ben Ali poussant à l’infini l’instaurati­on de la démocratie, arguant que le peuple n’était pas assez mûr pour cette dialectiqu­e de l’histoire. La dialectiqu­e s’est opérée. Mais, par ricochet, il serait tout aussi fallacieux de la part des candidats que de croire que le peuple, enivré par l’exercice de sa démocratie, soit à même d’avaler toutes les couleuvres. Il a bien vu de quel bois se chauffent les uns et les autres. Il a vu s’étaler les mensonges (pour bon nombre parmi eux), les envolées hérétiques des antisystèm­es, les conception­s abracadabr­antes annoncées comme par des personnage­s tout droit sortis de l’univers des fins de race. Les Tunisiens sont en effet révolution­naires dans leur façon de s’exprimer, mais ils restent paradoxale­ment conservate­urs dès lors qu’il s’agit de prééminenc­e et de continuité de l’etat. Il y a en effet une demande d’etat, cet Etat qu’on voue aux gémonies pour ses dysfonctio­nnements, mais en dehors duquel les Tunisiens ne trouveraie­nt pas vers qui se tourner et en qui s’identifier. Par ricochet, les Tunisiens n’éliront pas un Président. Mais un Chef d’etat. Un peu, leur roman des origines. Les chuchoteme­nts des urnes raviveront ce sentiment.

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