Le peuple mûrit; les politiques l’oublient
Quand les bruits cessent, il reste les chuchotements :
Tohu bohu, tintamarre encore pour un jour (aujourd’hui). Puis, demain, le silence électoral qui précèdera, dimanche, les chuchotements des urnes. Parce que les urnes, ce n’est pas vraiment « ces objets inanimés qui n’ont pas des sens » (Lamartine). Elles chuchotent, murmurent, suggèrent… Elles interpellent les consciences, discernent les bons esprits des âmes maléfiques. Leur verdict est sans appel, en effet. C’est l’essence même de la démocratie que des esprits chagrins et nostalgiques des années de plomb (schizophrénie) n’auront eu cesse de dévoyer tout le long de leurs campagnes. Certains autres utilisent cet appareil démocratique souverain pour le tourner contre la démocratie elle-même.
Tohu bohu, tintamarre encore pour un jour (aujourd’hui). Puis, demain, le silence électoral qui précèdera, dimanche, les chuchotements des urnes. Parce que les urnes, ce n’est pas vraiment « ces objets inanimés qui n’ont pas des sens » (Lamartine). Elles chuchotent, murmurent, suggèrent… Elles interpellent les consciences, discernent les bons esprits des âmes maléfiques. Leur verdict est sans appel, en effet.
C’est l’essence même de la démocratie que des esprits chagrins et nostalgiques des années de plomb (schizophrénie) n’auront eu cesse de dévoyer tout le long de leurs campagnes. Certains autres utilisent cet appareil démocratique souverain pour le tourner contre la démocratie ellemême. Ne sont-ils pas cependant dans la psychologie du déni quand ils crient à la supercherie dans le tirage au sort des questions posées aux candidats lors du premier débat électoral télévisé dans le monde arabe ? N’est-ce pas là, de leur part, un aveu d’échec imminent, si ce n’est qu’il est déjà consommé ? Et
cette option délibérée à dénigrer un concurrent, sont-ils sûrs que cela leur a fait marquer des points ? Il arrive en effet que l’ennemi idéologique qu’on cherche si loin, soit bien près, c’est-à-dire dans sa propre idéologie… Si tant est que nous puissions conclure à que ces élections sont marquées du sceau de l’idéologie.
Pertes et profits
Les Tunisiens, aujourd’hui, ne sont pas dans la philosophie des Epicuriens, c’est-àdire qu’ils se contenteraient du bonheur minimal (autrement pourquoi ont-ils fait leur révolution !). Ils ne sont pas
non plus dans le versant opposé, celui des Stoïciens, c’est-à-dire dans le renoncement et dans l’acceptation du destin. Ils veulent que les choses changent. Ils ne renoncent pas à leur révolution, ne sont pas près de remettre en cause leur démocratie, mais ils veulent enfin en récolter les dividendes. Ces profits que se sont appropriés les tribuns récupérateurs, les partis, la classe politique tout entière, anciens opposants et nouveaux dandys dansant sur les volcans. Comme dans une comptabilité mécanique, mais injuste, ces derniers ont récolté les profits, tandis que la case opposée, celle des pertes, a été dévolue au bon peuple. D’où vient que les laissés-pour comptes vivent en véritable SDF dans leur propre pays ? D’où vient que, ostensiblement, de grosses fortunes aient poussé à une cadence effrénée, si ce n’est par l’effet d’un clientélisme échappant au contrôle de l’etat, le défiant même ? Trop facile et trop commode de tout mettre sur le dos des gouvernements post-révolution. Ils y sont pour quelque chose, c’est indéniable. Mais le pays est-il vraiment gouvernable quand Carthage vit dans ses bulles tandis que les partis-mastodontes au Parlement ne font que dans la surenchère ? En fait, c’est à ce niveau que tout se jouerait dimanche. Les Tunisiens, à priori, ne feraient pas comme en 2011, puis en 2014. Les urnes (leurs chuchotements) pourraient transcender leurs magmas et leurs tiraillements partisans. Ils seraient en effet enclins à élire « leur président », mais pas en fonction de l’idéologie partisane.
Pas simplement un Président, mais un Chef d’etat !
La vérité est que ce peuple a mûri. Quoique toujours accroc aux feuilletons turcs, il se lance gloutonnement dans la chose publique. Il fait bouger les lignes, clame haut et fort ses besoins existentiels, n’a plus peur de parler, de critiquer et se transforme pour ainsi dire de peuple bâillonné et consentant en peuple doté d’un rare discernement politique. Il n’est même plus dans la démocratie gouvernée, telle qu’elle lui a été imposée par la Troika, mais à mi-chemin (alchimie difficile à concocter mais possible) entre la traditionnelle démocratie représentative à travers les partis, et une démocratie franchement directe, à travers la libre parole et « l’interpellation » des candidats. C’est la règle du jeu d’une campagne inédite. La question est là cependant : il a mûri dans quel sens ? Moralement mature et mentalement immature, ou l’inverse ? Bien entendu, il serait désastreux de revenir aux conceptions absolutistes de Bourguiba et de Ben Ali poussant à l’infini l’instauration de la démocratie, arguant que le peuple n’était pas assez mûr pour cette dialectique de l’histoire. La dialectique s’est opérée. Mais, par ricochet, il serait tout aussi fallacieux de la part des candidats que de croire que le peuple, enivré par l’exercice de sa démocratie, soit à même d’avaler toutes les couleuvres. Il a bien vu de quel bois se chauffent les uns et les autres. Il a vu s’étaler les mensonges (pour bon nombre parmi eux), les envolées hérétiques des antisystèmes, les conceptions abracadabrantes annoncées comme par des personnages tout droit sortis de l’univers des fins de race. Les Tunisiens sont en effet révolutionnaires dans leur façon de s’exprimer, mais ils restent paradoxalement conservateurs dès lors qu’il s’agit de prééminence et de continuité de l’etat. Il y a en effet une demande d’etat, cet Etat qu’on voue aux gémonies pour ses dysfonctionnements, mais en dehors duquel les Tunisiens ne trouveraient pas vers qui se tourner et en qui s’identifier. Par ricochet, les Tunisiens n’éliront pas un Président. Mais un Chef d’etat. Un peu, leur roman des origines. Les chuchotements des urnes raviveront ce sentiment.