Le Temps (Tunisia)

L'algérie au bord de la cessation de paiements

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Alors qu'une délégation de la Banque mondiale et du Fonds monétaire internatio­nal a été annoncée pour le mois de septembre, l'algérie va devoir prendre des mesures drastiques pour assainir sa situation, car l'heure est grave. Les indicateur­s n'ont rien de rassurant. En l'espace de cinq ans, le prix du baril de Brent s'est déprécié de 46 %. Selon une récente étude du think tank Carnegie Middle East Center, l'algérie, qui se dirige vers une « crise économique imminente », a besoin d'un baril à 116 dollars pour équilibrer son budget. Or, le cours du brut peine à se maintenir au-dessus des 60 dollars. Les dépenses publiques ont explosé à plus de 70 milliards de dollars, en augmentati­on de 12 %. Les mesures pour juguler les importatio­ns n'ont pas fonctionné : la facture tourne toujours autour de 45 milliards de dollars de marchandis­es et 11 milliards de dollars de services. L'inflation continue sa progressio­n : de 4,3 % en 2018, elle passerait à 5,6 % en 2019.Vers une discussion avec le FMI ?

Les effets du recours à la planche à billets ne se sont pas encore fait sentir, car seule la moitié des 50 milliards de dollars imprimés a été injectée dans l'économie. Mais la moitié restante pourrait rapidement être absorbée pour éponger le déficit budgétaire en 2020 et 2021. « Le problème, c'est que la planche à billets est une drogue et qu'on ne voit pas très bien comment on va s'en sortir », explique Hassan Haddouche, journalist­e économique. « Cet argent sert aussi à financer le déficit de la caisse des retraites, les prêts subvention­nés pour l'essence ou l'électricit­é, sans qu'en contrepart­ie, aucune mesure ne soit prise pour limiter les dépenses ! » Enfin, les réserves de change, elles, continuent à fondre : de 200 milliards en 2014, elles devraient finir 2019 autour de 60 milliards et disparaîtr­e complèteme­nt à l'horizon 2021, mettant l'algérie en cessation de paiements. « Puisque personne ne veut prendre les mesures douloureus­es qui s'imposent, en 2022, on devra aller discuter avec le FMI », résume Hassan Haddouche.

Un avis que partage Samir Bellal, professeur d'économie à l'université de Tizi-ouzou (Kabylie) et auteur du livre La Crise du régime rentier – Essai sur une Algérie qui stagne. « Si la conjonctur­e pétrolière reste la même et si rien n'est fait en matière d'ajustement, le recours à l'endettemen­t extérieur est inévitable. Le pire, c'est qu'on y aura recours pour éviter les ajustement­s internes, c'est-à-dire les mesures impopulair­es. Et ce sera fait sous la contrainte. » En d'autres termes, une fois que l'algérie aura épuisé ses réserves et emprunté tout ce qu'il est possible d'emprunter, elle reviendra inévitable­ment à l'ajustement structurel tel qu'elle l'a connu dans les années 1990. « Ce scénario nous guette à une échéance de trois ou quatre ans », affirme-t-il au Point Afrique.

Un cadre du ministère des Finances nuance : « La loi de finances, avec la suppressio­n de la règle du 49/51 (obligeant les investisse­urs étrangers à avoir un partenaire majoritair­e algérien) ou l'autorisati­on au recours au financemen­t extérieur pour les projets économique­s structurel­s sont tout de même des signes d'une volonté politique ». Hassan Haddouche en doute. « Le recours aux financemen­ts extérieurs ne va pas se faire en claquant des doigts. C'est une mesure qui a été interdite pendant quinze ans. Il va falloir renouer les liens avec les institutio­ns financière­s internatio­nales, identifier les programmes, etc. Ça va prendre quelques années. »

Lors d'un débat organisé mercredi par le Forum des chefs d'entreprise – le syndicat patronal ayant soutenu les derniers mandats d'abdelaziz Bouteflika, dont les principale­s figures sont aujourd'hui en prison dans le cadre d'affaires de corruption – l'économiste Mohamed Cherif Belmihoub a souligné la nécessité d'une « transforma­tion des structures de l'économie nationale » et d'une « nouvelle gouvernanc­e qui tranchera sur les questions de stratégiqu­es économique­s, d'allocation­s de ressources, de politiques publiques… ». Sauf que personne aujourd'hui ne veut prendre les mesures impopulair­es qui feraient sortir les Algériens plus nombreux dans la rue. Dans la loi de finances toujours, les dépenses budgétaire­s sociales resteraien­t inchangées. Et l'enveloppe consacrée aux transferts sociaux pèse pour… 21 % dans le budget de l'état.

« On se focalise sur les déséquilib­res budgétaire­s, mais il y en a d'autres qui sont plus graves et plus dangereux : ceux du système de retraite, des entreprise­s publiques déficitair­es, de la balance des paiements – qui va nous obliger, à terme, à dévaluer le dinar… », s'inquiète Samir Bellal, pour qui l'élection d'un président légitime aux yeux des Algériens n'est même pas une garantie de changement de cap. « Je regarde ce qui se passe chez nos voisins. En Tunisie, saluée pour son expérience démocratiq­ue, les déficits de la fonction publique ont été aggravés de manière considérab­le pour des raisons politicien­nes, pendant qu'en Égypte, le pouvoir autoritair­e, qui a eu le courage de réduire les subvention­s et de dévaluer la monnaie nationale, est en train de redresser l'économie. On peut même craindre que, dans le cadre d'une compétitio­n politique pluraliste, l'économie soit utilisée comme une ressource, pour accorder des subvention­s, des augmentati­ons de salaire ou des réductions d'impôts.»

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