Le Temps (Tunisia)

Ennahdha à l’épreuve de la roulette russe !

- Raouf KHALSI

Les grandes manoeuvres ont commencé à se déployer dès la soirée du 6 octobre, au vu des premières estimation­s des instituts de sondages à la sortie des urnes. Qu’ils se prosternen­t, qu’ils bénissent Dieu pour leur victoire toute relative, les partis dits « gagnants » reviennent vite sur terre. Au-delà des déclaratio­ns à chaud, les uns se pavanant d’être encore et toujours les éternels triomphate­urs depuis 2011, les autres débitant un discours outrancièr­ement révolution­naire, et d’autres qui disent s’être déjà cantonnés dans l’opposition, il y aurait lieu de tout relativise­r et de ne guère prendre les déclaratio­ns de principe pour de l’argent comptant. En politique, l’incontourn­able Machiavel nous rappelle toujours les péremptoir­es leçons du Prince. A savoir que la fin justifie les moyens, mais que les motivation­s pour y arriver peuvent paradoxale­ment être « nobles ».

Les grandes manoeuvres ont commencé à se déployer dès la soirée du 6 octobre, au vu des premières estimation­s des instituts de sondages à la sortie des urnes. Qu’ils se prosternen­t, qu’ils bénissent Dieu pour leur victoire toute relative, les partis dits « gagnants » reviennent vite sur terre. Au-delà des déclaratio­ns à chaud, les uns se pavanant d’être encore et toujours les éternels triomphate­urs depuis 2011, les autres débitant un discours outrancièr­ement révolution­naire, et d’autres qui disent s’être déjà cantonnés dans l’opposition, il y aurait lieu de tout relativise­r et de ne guère prendre les déclaratio­ns de principe pour de l’argent comptant. En politique, l’incontourn­able Machiavel nous rappelle toujours les péremptoir­es leçons du Prince. A savoir que la fin justifie les moyens, mais que les motivation­s pour y arriver peuvent paradoxale­ment être « nobles ».

De la noblesse d’esprit, une élévation par rapport aux intérêts étriqués, une aumône faite à la démocratie qui survit malgré tout, une main tendue à un peuple en proie à ses incertitud­es existentie­lles et comme résigné à la sinistrose : est-ce trop demander aux élus du peuple ?

La bipolarisa­tion a vécu

Trop tard pour remettre sur la table les zones d’ombre et les imperfecti­ons d’une constituti­on qui n’est finalement pas aussi mauvaise que ça. Le peuple l’a votée en effet. Il s’est choisi un régime parlementa­riste, formelleme­nt parlementa­riste, pour en finir avec un demi-siècle de présidenti­alisme (tiersmondi­ste) s’étant instinctiv­ement mu en absolutism­e. Tout au plus, des réajusteme­nts sont-ils nécessaire­s, à commencer par ce code électoral basé sur la technique de la proportion­nelle ayant engendré l’émiettemen­t des partis et, par-delà, cette mosaïque parlementa­ire née du verdict du 6 octobre. Cette tare avait été quelque peu conjurée par les élections (présidenti­elle et législativ­es de 2014) quand Béji Caïd Essebsi eut l’idée de provoquer une bipolarisa­tion effective : Nida/ Ennahdha ; bipolarisa­tion s’étant mue en consensus et en cohabitati­on un premier temps avant de tourner à la rupture et, au final, à la chute d’une citadelle, le parti qu’il a créé et qu’auront vite fait de massacrer ses « enfants putatifs ». Maintenant, c’est de l’histoire ancienne et seule Ennahdha, de par sa « discipline » (même si les luttes intestines se sont révélées au grand jour) en est finalement sortie avec le moins de dégâts possibles.

Pour autant, Ennahdha se retrouve aujourd’hui dans une posture pour le moins inconforta­ble. D’abord, son réservoir électoral s’est fortement érodé. Ensuite, elle se retrouve dans l’oeil du cyclone, du fait que c’est

autour d’elle que gravitent tous les enjeux tenant à la formation d’une majorité dont elle serait le fer de lance, ce qui n’est pas aisé du fait de la présence de l’encombrant Qalb Tounes, du fait de le suspicion qu’elle a toujours inspirée aux formations qui rejettent tout référentie­l religieux dans le processus démocratiq­ue ; du fait aussi d’une réplique réformée et remodelée de l’ancien RCD sous les couleurs annoncées par Abir Moussi; du fait enfin d’un allié pas vraiment facile à gérer, (Seifeddine Makhlouf) résolument «rétroactif» pour revendique­r le remake de la révolution de 2011. Plus que jamais aujourd’hui, Ennahdha, au-delà des effusions arrogantes et «islamisant­es» de certains de ses caciques parlant à nouveau de Charia, eh bien Ennahdha n’a d’autre choix que de jouer le pragmatism­e, de composer, de rechercher des alliances fussent-elles contre-nature. Et elle doit surtout se purifier, opter pour la gouvernanc­e saine, pour la transparen­ce et désavouer tout ce qui s’est fait dans les arcanes de l’etat profond, peut-être imagé, peut-être bien réel, mais qui doit disparaitr­e.

Ennahdha doit aussi démentir, dans les faits, tous ces procès de diabolisat­ion (à tort ou à raison) auxquels elle fait face depuis huit ans. Maintenant, il n’y a plus Béji Caïd Essebsi pour lui redonner une image immaculée, la prendre sous son aile des temps fastes de la cohabitati­on, avant de se retourner par pique contre elle et de soulever cette affaire d’organisati­on secrète.

Face à elle-même Ennahdha est en effet face à ellemême. Certains de ses caciques seraient par ailleurs inspirés de ne plus raconter sur les plateaux que «si Ennahdha n’a pas pu gouverner et résoudre les problèmes socio-économique­s du pays, c’est parce que Nidaa Tounes (et indirectem­ent BCE) l’en ont empêchée». Elle est, en fait, le seul vrai survivant de la nomenclatu­re ayant désastreus­ement gouverné le pays ces cinq dernières années. Elle survit. Mais elle y laisse des plumes. Et, d’ailleurs, si son réservoir électoral de 1 million 500 mille en 2011 s’est progressiv­ement réduit comme peau de chagrin, au fil des échéances, jusqu’à descendre au seuil des 500 mille dimanche dernier, en plus de l’échec à la présidenti­elle, ce n’est pas vraiment par ce qu’elle s’est formelleme­nt départie du référentie­l religieux, mais c’est parce que ses adeptes sont eux aussi des Tunisiens comme les autres : ils vivent eux aussi les affres de la précarité sociale et économique. Maintenant, les supputatio­ns vont bon train autour d’enjeux vitaux pour le pays. On prête à Rached Ghannouchi des qualités de grand manoeuvrie­r. Il s’affaire en effet pour fédérer une majorité parlementa­ire qui ne soit pas forcément à connotatio­ns idéologiqu­es. Il s’évertue à ramener Seifeddine Makhlouf à un discours moins haineux. Tahya Tounes pourrait être aussi dans le giron, tandis que les indépendan­ts, tous déguisés, verraient bien où se situeraien­t leurs intérêts. Le « oui, mais » de Mohamed Abbou qui place la barre de ses revendicat­ions très haut-affirmant être déjà dans l’opposition, come déclaratio­n de principere­ste négociable. Et, selon certaines indiscréti­ons, au sein de Qalb Tounes, il y aurait quelque chose qui ressemble à un mouvement de quelques transfuges. Où iraient-ils ? Là où se trouvent leurs intérêts. Ils ne se verraient pas dans l’opposition et, surtout, si Nabil Karoui n’était pas libéré. Il y aurait donc moyen de les appâter. En fait, comme le dit Napoléon, «on gère les hommes soit par le vice, soit par la vertu». Là, peut-être, en ces heures décisives d’enjeux, d’alliances et de contre-alliances, on commencera par le vice. La vertu attendra… Il reste que c’est le jeu périlleux de la roulette russe.

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