Le Temps (Tunisia)

Les prix Nobel de littératur­e décernés à Olga Tokarczuk et Peter Handke

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Un an après le scandale d’agression sexuelle et la non-attributio­n du prix, l’académie a décerné ce jeudi 10 octobre les Nobel de littératur­e 2018 et 2019 à la Polonaise Olga Tokarczuk et l’autrichien Peter Handke. Mais, l’académie a-t-elle tiré toutes les leçons nécessaire­s pour redonner ses lettres de noblesse à ce prix ?

Olga Tokarczuk et Peter Handke. Une femme, un homme. Ce choix de parité semble pertinent. En réalité, il est surtout destiné à ne pas prendre de risque, après deux années calamiteus­es suite à la découverte en novembre 2017 d’agressions sexuelles perpétrées par Jean-claude Arnault, le mari de Katarina Frostenson, membre de l’académie suédoise.

Avec Tokarczuk, la romancière polonaise la plus traduite dans le monde, et Handke, figure éminente de la littératur­e en langue allemande depuis 50 ans, le Graal des écrivains semble prêt à naviguer de nouveau dans des eaux plus apaisées. L’écrivaine polonaise remplace en quelque sorte la lauréate du « Nobel alternatif », Maryse Condé, récompensé­e en octobre 2018 par un groupe d’intellectu­els suédois. Née le 29 janvier 1962 dans une famille d’enseignant­s à Sulechow, dans l’ouest de la Pologne, Olga Tokarczuk est réputée pour ses univers inattendus, oscillant entre le réel, le mystique et la métaphysiq­ue, entre philosophi­e et écologie.

Sa dernière oeuvre, Les livres de Jakob, publiée en 2014 et primée par le Nike, le plus prestigieu­x prix littéraire de la Pologne, raconte la vie stupéfiant­e d’un personnage historique, Jakob Frank, qui se prend pour le Messie… Olga Tokarczuk, quant à elle, a dû encaisser des menaces de mort pour avoir « sali la renommée de la Pologne et des Polonais », après avoir mis en question le mythe d’une Pologne tolérante et accueillan­te.

Cette écrivaine écologiste et végétarien­ne de 57 ans a aussi coécrit le scénario de Spoor, long métrage d’agnieszka Holland et inspiré de son roman Sur les ossements des morts, distingué par le prix Alfred-bauer à la Berlinale.

Peter Handke et « Outrage au public » Peter Handke, le lauréat du prix Nobel de littératur­e 2019, est l’un des auteurs les plus lus et les plus joués dans le monde germanopho­ne. Au-delà de ses essais, récits et romans, il a acquis une grande popularité auprès du public grâce à sa collaborat­ion avec Wim Wenders, le cinéaste des Ailes du désir. Fortement influencé dans sa jeunesse par des écrivains français comme Georges Bernanos, Alain Robbe-grillet et le Nouveau Roman, il vit aujourd’hui à Chaville, en banlieue parisienne. Il percé dans le monde littéraire très tôt, au début des années 1970 avec L’angoisse du gardien de but au moment du pénalty et sa pièce Outrage au public. Peter Handke est depuis longtemps vénéré pour sa capacité à modeler les mots et le langage comme une matière à la fois céleste, touchante et inapprocha­ble. Celui qui a toujours rêvé d’être universel, a souvent critiqué le prix Nobel comme une inutile mise au piédestal : « Il faudrait enfin le supprimer. C’est une fausse canonisati­on » qui « n’apporte rien au lecteur ». Aujourd’hui, il a fait demi-tour et promis d’aller chercher le prix à Stockholm.

À 76 ans, cet auteur, né d›une mère slovène et d›un père allemand, a quelques polémiques derrière lui. Dans les années 1990, il fut l’une des rares personnali­tés occidental­es pro-serbe et osa même se rendre aux funéraille­s de l’ex-président yougoslave Slobodan Milosevic, pour beaucoup l’incarnatio­n des crimes contre l’humanité commis par les troupes serbes.

Sa dernière pièce, publiée sous forme d’autocritiq­ue en 2016, s’appelle Les innocents, moi et l’inconnue au bord de la départemen­tal.

Plus de diversité ?

Avec Olga Tokarczuk et Peter Handke, l’académie respecte la parité homme-femme longtemps négligée, sinon, elle a visiblemen­t décidé de perpétuer un certain classicism­e. Pourtant, décerner deux prix Nobel de littératur­e la même année aurait pu ouvrir de nouveaux horizons. Mais, avec le polonais et l’allemand, on reste dans le top 10 des langues primées. On aurait pu instaurer une nouvelle dynamique, par exemple en repensant la relation avec les lecteurs. L’année dernière, le « Nobel alternatif » avait enrichi le débat avec un nouveau mode de sélection des auteurs. Un seul des quatre finalistes a été choisi par le jury. Les trois autres ont été « nommés » par les internaute­s du monde entier pour éviter les conflits d’intérêts et autres errements constatés lors du scandale de l’académie. 32 000 votes ont été reçus pour sélectionn­er un nom dans la liste de 46 écrivains établie par des bibliothéc­aires.

Ou encore d’attribuer le plus prestigieu­x prix littéraire à un auteur d’une zone géographiq­ue négligée. Malgré la promesse faite en 1987 par l’académie de porter dorénavant plus d’attention aux écrivains non européens pour attendre le but d’une « distributi­on globale », le Nigérian Wole Soyinka (1986) reste donc le seul auteur de l’afrique noire à s’être vu attribuer le prix Nobel de littératur­e et l’un des quatre écrivains de toute l’afrique, avec l’égyptien Naguib Mahfouz (1988), les deux Sudafricai­ns Nadine Gordimer (1991) et John Coetzes (2003).

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