Le Temps (Tunisia)

Pourquoi la Turquie s'en prend aux Kurdes de Syrie

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Le président turc Recep Tayyip Erdoğan a lancé ce mercredi 9 octobre une offensive intitulée “Printemps de la paix” dans le nord de la Syrie, le Rojava, contre Les Forces démocratiq­ues syriennes (FDS), dominées par les Kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), alliées des Occidents dans la lutte contre Daech.

Selon l’observatoi­re Syrien des droits de l’homme, 15 personnes, dont 8 civils, ont été tuées. Des milliers de personnes ont également fui les régions de Ras al-aïn et des villages de Tal Abyad. Une attaque menée alors que la veille Donald Trump a annoncé le retrait des troupes américaine­s de la région.

Si la communauté internatio­nale s’inquiète et condamne, la décision de Recep Tayyip Erdoğan n’est pas vraiment surprenant­e indique Jean Marcou, professeur à Sciences Po Grenoble et directeur du Master “Intégratio­n et mutations en Méditerran­ée et au Moyen-orient”, interrogé par Le Huffpost. “Cette offensive c’est la continuité d’une stratégie menée depuis plusieurs années et qui vise à anéantir ou tout du moins diminuer l’influence des Kurdes de Syrie, et leurs possession­s, et à empêcher la formation d’une région autonome ou indépendan­te dans le Rojava [ndlr: une zone aussi appelée Kurdistan syrien située dans le nord-est de la Syrie]. Erdorgan considère les YPG comme une organisati­on terroriste et lui reproche ses liens avec le Parti des travailleu­rs du Kurdistan (PKK)”, explique-t-il.

Deux opérations semblables ont déjà été menées en 2016 avec l’offensive “Bouclier de l’euphrate” et en 2018 à Afrine avec l’opération intitulée “Rameau d’olivier”.

Si la défiance turque à l’égard des ambitions kurdes n’est pas nouvelle, en revanche un récent résultat électoral a indéniable­ment joué dans le lancement de l’opération. Lors des législativ­es de mars dernier, L’AKP, le parti de Recep Tayyip Erdoğan, a perdu six des plus grandes villes, dont Istanbul et Ankara. Une perte de popularité qui selon Jean Marcou pousse le président à agir sur la question des réfugiés syriens, plus de 3 millions en Turquie, et envers lesquels l’hostilité grandit. “C’est aussi une façon de renvoyer les grandes puissances occidental­es à leur nonaccueil de réfugiés”, ajoute-t-il.

Pour Hasan Basri Elmas, Professeur à Paris VIII également contacté par Le Huffpost, nul doute qu’à travers cette opération, Erdoğan cherche à satisfaire “une base électorale toujours plus nationalis­te et islamiste” et qu’il apparaîtra “comme le grand vainqueur”. Selon lui, avec cette offensive la Turquie cherche à “modifier la structure géographiq­ue de la région en y installant les réfugiés syriens sur lesquels elle a la main”.

Surtout s’inquiète Hasan Basri Elmas, quid des combattant­s de Daech prisonnier­s dont les forces kurdes s’occupaient? “C’est un levier terrible dont disposerai­t alors le président turc, tout comme la question des réfugiés syriens”.

Enfin, impossible d’évacuer de l’équation la crise en Syrie. “Elle vient d’entrer dans une autre forme et la nature du conflit se transforme­r face notamment aux acteurs que sont l’iran et la Russie”, analyse Hasan Basri Elmas, Avec ces deux derniers pays, la Turquie a enclenché le processus d’astana.

“En occupant ce territoire du Nord de la Syrie, Erodgan pèse un peu plus dans le processus et peut s’en servir. Chacun joue sa partition. La Russie par exemple n’a aucun intérêt à ce que les Turcs s’installent durablemen­t dans la région mais dans le même temps cette opération permet d’écarter un acteur dans la résolution de la crise syrienne. Du point de vue de Moscou, les Kurdes de Syrie sont fragilisés ils n’auront donc pas d’autre choix que de recherche le soutien du régime syrien ou d’accepter un accord qui les fait rentrer dans le rang”, détaille Jean Marcou.

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