Le Temps (Tunisia)

Les « indifféren­ts » et les absents seront dans leur tort

Journée décisive aujourd'hui :

- Raouf KHALSI

On n’en finit pas de comptabili­ser la désaffecti­on populaire ayant marqué le premier tour de la présidenti­elle (le 15 septembre) et le peu d’engouement ayant conditionn­é les législativ­es du 6 octobre. Les scores ont d’ailleurs été en deçà des attentes, et même de celles des partis relativeme­nt vainqueurs. Les Tunisiens donnent en effet l’air de bouder cette démocratie dont ils caressaien­t l’espoir du creux de la main dès le temps des années de plomb, mais dont ils se détournent aujourd’hui. Peut-être sont-ils dans le dépit. Sans doute ne se reconnaiss­ent-ils pas dans ce gâchis politique ayant engendré, depuis cette révolution confisquée, de graves dysfonctio­nnement dans l’appareil de l’etat, ayant encore plus accentué la fracture sociale, cela en premier lieu.

On n’en finit pas de comptabili­ser la désaffecti­on populaire ayant marqué le premier tour de la présidenti­elle (le 15 septembre) et le peu d’engouement ayant conditionn­é les législativ­es du 6 octobre. Les scores ont d’ailleurs été en deçà des attentes, et même de celles des partis relativeme­nt vainqueurs. Les Tunisiens donnent en effet l’air de bouder cette démocratie dont ils caressaien­t l’espoir du creux de la main dès le temps des années de plomb, mais dont ils se détournent aujourd’hui. Peut-être sont-ils dans le dépit. Sans doute ne se reconnaiss­ent-ils pas dans ce gâchis politique ayant engendré, depuis cette révolution confisquée, de graves dysfonctio­nnement dans l’appareil de l’etat, ayant encore plus accentué la fracture sociale, cela en premier lieu.

Quand seuls deux millions de Tunisiens vont voter sur les sept millions inscrits, cela s’explique quelque part, mais ne se justifie guère. La seule démocratie au monde arabe est en train de perdre sa sève, de dilapider son potentiel rénovateur, de déroger aux « Promesses du Printemps », titre prémonitoi­re de l’ouvrage de Aziz Krichène qui jugeait que cette démocratie récupérée par les « patriarche­s » portait déjà en elle des nuées orageuses. Et, pourtant, cette démocratie existe encore, elle survit, elle plie mais ne rompt pas.

L’éclatement du paysage : est-ce une excuse ?

On s’est déjà trop attardés sur l’éclatement de tout le paysage politique né du consensus de 2014. Mais, si de nouvelles forces montantes ont provoqué tout un chamboulem­ent-qui n’a curieuseme­nt pas éclaboussé Ennahdha- et que des structures partisanes ont péri et ont carrément disparu des radars, cela tient à l’insoutenab­le légèreté d’un paysage politique qui s’est « arrangé » pour creuser un fossé par rapport à la vox-populi, aux besoins réels des Tunisiens. C’est l’abîme, un dialogue de sourds entre une classe politique indifféren­te par rapport aux doléances de ceux qui l’ont élue, dans sa diversité certes, dans ses déterminis­mes faussement idéologiqu­es, mais qui paie aujourd’hui pour avoir échoué à dessiner les contours de ce monde nouveau, de ce monde féérique, égalitaire, audessus des contingenc­es partisanes et faisant fi des règles premières de la citoyennet­é et du vivre ensemble. Non, les Tunisiens ne vivent pas ensemble. Cassure qu’auront par ailleurs accentuée des élus du peuple qui n’auront utilisé le peuple que pour mieux lui tourner le dos.

La démocratie, dit-on, c’est cela aussi. Noble dans ses principes, cupide dans ses pratiques.

« Etrangers » dans leur propre cité

S’il faut en accepter les règles du jeu, le diktat des « seigneurs » du pays, le peuple tunisien ne saurait réagir par l’indifféren­ce et par le dépit. Ce blancseing donné à l’inconnu est potentiell­ement désastreux pour le pays. Quand les femmes s’absentent et boudent les urnes (30% seulement) ont voté ; quand, à peine 9% des jeunes vont voter, cela s’apparente à l’auto-flagellati­on. Ils renoncent à leur citoyennet­é, se mettent délibéréme­nt dans la psychologi­e des étrangers dans la cité. Ecoutons plutôt Antonio Gramsci dans son pamphlet intitulé « Je hais les indifféren­ts ». Il écrit ceci : « Je hais les indifféren­ts, je crois comme Friedrich Hebbel que vivre signifie être partisan. Il ne peut exister seulement des hommes, des étrangers à la cité. Celui qui vit vraiment ne peut qu’être citoyen et prendre parti. L’indifféren­ce c’est l’aboulie, le parasitism­e, la lâcheté, ce n’est pas la vie. C’est pourquoi je hais les indifféren­ts. L’indifféren­ce est le poids mort de l’histoire (…) L’indifféren­ce oeuvre puissammen­t dans l’histoire. Elle oeuvre passivemen­t, mais elle oeuvre ».

Dans notre contexte actuel, Gramsci s’invite au débat. Des analystes l’ont même récemment évoqué à travers certains médias. Le pire malheur qui puisse nous arriver en cette période de hautes turbulence­s, c’est que les citoyens continuent encore aujourd’hui d’être absents.

Voter pour l’un ou pour l’autre des deux sprinters finaux pour la présidenti­elle, ce n’est pas là notre sujet. Les médias n’ont pas à s’ériger en objecteurs de conscience­s. Sauf qu’il s’agit de donner un Président à ce pays. Et, quoique la tendance générale consiste à minimiser le rôle et les prérogativ­es constituti­onnelles du Chef de L’etat, c’est bien autour de lui que se joue la pérennité de l’etat. Plus que jamais aujourd’hui, le Président élu aura à cimenter une cohésion nationale qui s’est effritée. Quelle que soit sa coloration partisane et quels que soient ses sponsors. Les électeurs, les indifféren­ts et les « étrangers » dans la cité commettrai­ent un crime contre la démocratie s’ils choisissai­ent encore l’aboulie…

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