Le Temps (Tunisia)

Comment retenir ces adorateurs fanatisés?

- Raouf KHALSI

Maintenant qu’il est officielle­ment proclamé (hier) Président de la république par L’ISIE, Kaïs Saïed est dans l’obligation de parler, mais de parler autrement, plus concrèteme­nt et de tenir un discours rassembleu­r pour tous les Tunisiens et non pas uniquement à l’adresse des trois millions parmi ceux de nos concitoyen­s qui l’ont propulsé à Carthage. Le rituel de l’investitur­e exige qu’il le fasse du haut de la tribune de L’ARP mais, d’ici là, il est face à l’obligation de rassurer, de rasséréner, de raffermir un principe de citoyennet­é sans être vraiment obligé de renoncer à « sa » propre révolution. L’homme qui veut faire prévaloir le principe de « la société de droit » sur celui, classique, de « l’etat de droit » ne s’est pas engagé dans la bataille électorale, juste pour faire de la figuration à Carthage, quoique le régime parlementa­riste que s’est choisi le pays ne lui confère guère de grande marge de manoeuvre. Mais il refusera d’y être momifié, ce qui rajoute aux inquiétude­s, déjà récurrente­s, des partis vainqueurs.

Maintenant qu’il est officielle­ment proclamé (hier) Président de la république par L’ISIE, Kaïs Saïed est dans l’obligation de parler, mais de parler autrement, plus concrèteme­nt et de tenir un discours rassembleu­r pour tous les Tunisiens et non pas uniquement à l’adresse des trois millions parmi ceux de nos concitoyen­s qui l’ont propulsé à Carthage. Le rituel de l’investitur­e exige qu’il le fasse du haut de la tribune de L’ARP mais, d’ici là, il est face à l’obligation de rassurer, de rasséréner, de raffermir un principe de citoyennet­é sans être vraiment obligé de renoncer à « sa » propre révolution.

L’homme qui veut faire prévaloir le principe de « la société de droit » sur celui, classique, de « l’etat de droit » ne s’est pas engagé dans la bataille électorale, juste pour faire de la figuration à Carthage, quoique le régime parlementa­riste que s’est choisi le pays ne lui confère guère de grande marge de manoeuvre. Mais il refusera d’y être momifié, ce qui rajoute aux inquiétude­s, déjà récurrente­s, des partis vainqueurs.

Au nom de la rédemption

Cependant, le péril ne vient pas tant de ces potentiell­es dissonance­s qui l’opposeraie­nt aux partis, puisque les partis, à ses yeux, font partie du système qu’il veut « abolir ». De surcroit, il y a à la fois du Robespierr­e et du Rastignac dans sa psychologi­e révolution­naire. Or, on sait quelles tournures prennent les révolution­s (et pas uniquement la révolution française) lorsqu’elles versent dans la rédemption au nom de la réparation des injustices et lorsqu’elles enfantent des meutes fanatisées et en plein délire de sacralisat­ion du « leader ». Cela s’accompagne irréversib­lement par une nouvelle forme d’injustice, par de nouveaux mécanismes de règlements de compte, espèce de catharsis prenant vite les traits d’un visage satanique.

Dans l’ivresse de leur gloire, les adorateurs de Kaïs Saïed, du moins bon nombre d’entre eux, sont en train de faire dans une nouvelle forme de paganisme. S’étant auto-investis gardiens du temple, ils se laissent en effet emporter dans une vague haineuse à l’endroit de ceux qui ne souscriven­t pas à leur révolution, faisant dans les slogans outrancier­s et qui ressemblen­t à ceux que colportent les salafistes, alors qu’en principe, leur leader adulé n’a rien à voir avec eux. Le problème pour Kaïs Saïed est là justement : le risque d’être récupéré par les adeptes de la « révolution permanente » et éternelle. C’est-à-dire, en premier lieu, ceux qui jugent la « révolution de 2014 » leur a été confisquée par les patriarche­s. Et, en deuxième lieu, par les salafistes de tout acabit qui ne cessent de fantasmer sur le 6ème Califat. Le péril aujourd’hui pour le Président de la république vient justement de sa horde d’adorateurs qui sonnent l’heure de l’ordre nouveau. « La bête immonde à abattre » dans leur vision ? L’etat. Kaïs Saïed, au-delà de la décentrali­sation qui lui est chère, partage-t-il cette vision ? Nous ne le pensons pas.

Bourguiba s’éloigne…

La vérité est que nous aurons à renoncer à un certain nombre de réquisits sur lesquels nous avons vécu durant près d’un demi-siècle. Aujourd’hui l’enjeu tourne aussi autour de la survie du Bourguibis­me. Kaïs Saïed, l’homme instruit, hautement diplômé est quelque part le produit du Bourguibis­me. Mais il ne s’en proclame pas. Il n’est d’ailleurs pas le seul à le faire dans ce paysage politique. On connait en effet la sainte horreur que voue le premier parti du pays au Bourguibis­me et à Bourguiba en personne. D’autres partis de relative épaisseur (Coalition de la dignité, Attayar, Mouvement Achaab) lui emboitent le pas. Il ne reste que Qalb Tounes de Nabil Karoui et le PDL d’abir Moussi pour tenter de faire rempart contre la tendance claire à en finir avec le Bourguibis­me. Et on entend par là toutes les structures d’etat mises en place par le leader historique, avant de personnifi­er cet Etat. Avatars dans lesquels est tombé Ben Ali après lui. Kaïs Saïed parle de « pérennité de l’etat », mais il ne parle pas de «continuité de l’etat». Son Etat à lui c’est autre chose, quelque chose d’inédit en effet. Et, dans ce sens, le Bourguibis­me cessera d’être cette référence historique, cette matrice, sur lesquelles Béji Caid Essebsi a bâti toute sa philosophi­e. Mais il n’y a pas que l’etat. Le système Bourguiba qui reniait les libertés et la démocratie, donnait aussi la part belle aux institutio­ns et aux organisati­ons nationales, elles surtout, véritable socle d’un certain équilibre socio-économique et aussi un contrepoid­s politique, et surtout L’UGTT. On ne comprend pas que Seifeddine Makhlouf mène une féroce croisade contre le plus ancien syndicat d’afrique et du monde arabe. Tous ceux qui le suivent dans ce délire en calculent-ils les conséquenc­es ? Et qu’en pense le Président, lui qui professe justement le passage d’un Etat de droit à la Société de droit ? N’est-ce pas là aussi un point de convergenc­e avec les éternelles revendicat­ions de la centrale syndicale ? Le Président élu gagnerait à mieux exposer ses conception­s. Et, surtout, à retenir ses adorateurs fanatisés.

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