Le Temps (Tunisia)

Prémices d’un rapprochem­ent entre Ennahdha et Qalb Tounes

- Walid KHEFIFI

En public, le mouvement islamiste Ennahdha et le parti Qalb Tounes (Au Coeur de la Tunisie) du magnat des médias Nabil Karoui se regardent en chiens de faïence, écartent toute possibilit­é d’une alliance et s’accusent mutuelleme­nt de trainer des casseroles (assassinat­s politiques pour et envoi des jeunes dans les zones de conflit l’un, évasion fiscale et blanchimen­t d’argent pour l’autre). Mais les appels du pied que fait le vainqueur des législativ­es au parti qui occupe la deuxième marche du podium et Vice-versa se multiplien­t.

Le premier appel du pied a été fait par le président d’ennahdha, Rached Ghannouchi, au fondateur de Nessma TV quelques minutes seulement après la publicatio­n des sondages de sortie des urnes relatifs aux résultats des législativ­es et qui ont donné les deux partis au coude-à-coude, avec un léger avantage pour la formation islamiste.

«Nous ne sommes pas heureux du maintien de Nabil Karoui en détention. Nous aurions souhaité le voir en liberté», a-t-il déclaré.

«Certains médias orientaux se sont moqués de la présence d’un candidat à la présidenti­elle en prison (...) Cela est un honneur pour la démocratie tunisienne, puisque tant qu’un prisonnier n’a pas fait l’objet d’un jugement définitif, il a le droit d’exercer ses droits dont celui de concourir pour la plus haute fonction au sein de l’etat. Dans ces pays-là, la seule chose que peut espérer la famille d’un prisonnier, c’est de savoir s’il est encore vivant ou non », a ajouté le fondateur d’ennahdha, rappelant que son parti «n’a pas remporté ce scrutin avec 99% des voix, mais seulement 20%».

Deux jours plus tard, le vice-président d'ennahdha et son candidat au premier tour de la présidenti­elle, Abdelfatta­h Mourou, n’a pas exclu d’une alliance avec Qalb Tounes. «L’intérêt de la patrie pourrait justifier une alliance entre Ennahdha et Qalb Tounes », a-t-il souligné.

De son côté, le fondateur de Qalb Tounes a adopté un ton plus apaisé et conciliant lors de la première réunion du bloc parlementa­ire de son parti.

« Nous ne sommes en confrontat­ion avec personne, le pays ne le supporte plus. Nous ne nous dresserons contre aucun gouverneme­nt. Nous devons être constructi­fs, créer une autre mentalité, être différents des autres car porteurs d’une autre culture, celle de l’amour, de la solidarité et de la fraternité dont nous avons fait preuve devant tous les défis que nous avons eu à affronter ensemble », a précisé Nabil Karoui. Et d’ajouter : « « Nous soutiendro­ns chaque décision qui servira l’intérêt du peuple et qui s’inscrira dans notre vision, celle de la lutte contre la pauvreté et la libération de notre économie. Nous ne sommes pas rancuniers et nous resterons proches des gens qui ont cru en nous et qui ont de l’espoir».

Contacts

Selon certains médias, les deux formations ont établi, loin des objectifs des caméras, des ponts de dialogue et entamé des tractation­s secrètes pour assurer un vote de confiance au futur gouverneme­nt.

D’après Maghreb Confidenti­el, un site d’informatio­n bien introduit dans les arcanes du pouvoir en Tunisie, Rached Ghannouchi cherche à entamer des contacts avec des dirigeants de Qalb Tounes en vue de former le nouveau gouverneme­nt. Dans ce cadre, il n'exclut pas la nomination d'un technocrat­e proche de Qalb Tounes. Il s’agit de Fadhel Abdelkéfi, un ami de trente ans de Karoui, qu’il a publiqueme­nt soutenu pendant son incarcérat­ion. D’après Maghreb confidenti­el, la nomination de cet ancien ministre des Finances au sein du premier gouverneme­nt de Youssef Chahed permettrai­t à la fois de rassurer les bailleurs internatio­naux, en particulie­r le Fonds monétaire internatio­nal (FMI), avec qui Tunis négocie le déblocage d’une nouvelle tranche du mécanisme élargi de crédit et de faciliter la participat­ion de Qalb Tounes à un cabinet d'union nationale. Le mouvement Ennahdha qui n’a obtenu que 52 siège au sein de l’assemblée des représenta­nts du peuple (ARP) devra composer avec d’autres forces politiques pour réunir la majorité de 109 sièges pour gouverner et légiférer. Mais en dehors de la Coalition Al- Karama (Dignité), tous les partis représenté­s à L’ARP ont déjà annoncé qu’ils préfèrent rester dans l’opposition ou poser des conditions difficiles à satisfaire.

Le Parti Destourien Libre (PDL) d’abir Moussi a indiqué qu’il exclue toute possibilit­é de tendre la main aux Frères musulmans ou à leurs dérivés, en l’occurrence le mouvement Ennahdha et la coalition Alkarama.

Le Courant démocrate dirigé par Mohamed Abbou a exigé la nomination d’un chef du gouverneme­nt indépendan­t et l’obtention des portefeuil­les stratégiqu­es de l’intérieur, la Justice et la réforme administra­tive pour rejoindre une coalition gouverneme­ntale dirigée par Ennahdha. Il s’est cependant dit prédisposé à accorder son vote de confiance à un gouverneme­nt formé par Ennahdha sans y participer. Le mouvement du Peuple plaide, quant à lui, pour la mise en place d’un gouverneme­nt formé sur propositio­n du président de la République qui a été plébiscité par plus de trois millions d’électeurs.

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