Le Temps (Tunisia)

Attendons le gouverneme­nt « du Président »

- Jameleddin­e EL HAJJI

Depuis la fin des élections législativ­es, où il n’y a pas eu de vainqueur au sens constituti­onnel du terme, les partis en course ont déchainé leurs machines de propagande de quartiers dans le dessein bien avoué de se soustraire à l’oubli dont les menace le cours normal de l’histoire. Tous gagnants, mais tous sur la défensive, craignant un faux pas qui leur sera fatal, à terme.

Depuis la fin des élections législativ­es, où il n’y a pas eu de vainqueur au sens constituti­onnel du terme, les partis en course ont déchainé leurs machines de propagande de quartiers dans le dessein bien avoué de se soustraire à l’oubli dont les menace le cours normal de l’histoire. Tous gagnants, mais tous sur la défensive, craignant un faux pas qui leur sera fatal, à terme.

Quand on passe en revue les déclaratio­ns, émanant des chefs de ces partis, on remarque qu’ils admettent déjà mal de considérer Ennahdha comme parti majoritair­e ayant le droit de prendre le devant de la scène, et de « patronner » l’édificatio­n du quinquenna­t entamé.

Le discours du parti Ennahdha, quant à lui, a changé à mesure que s’égrènent les journées à partir desquelles il reviendra au président de la république de former un gouverneme­nt… à sa discrétion, c’est-à-dire loin de toute emprise partisane sur ses décisions. Au lendemain de la proclamati­on des résultats, Rached Ghannouchi se pavanait dans son discours hautain et anachroniq­ue d’un chef de parti unique « providenti­el » à qui revient l’allégeance de tous les autres. Le terrain n’étant plus propice à ce genre de ridicules assertions, le chef tenta un moment d’arrondir les « angles », en multiplian­t les contacts « secrets » avec les « non décideurs » des partis de la prochaine ARP. Dans une déclaratio­n à notre consoeur Assabah, Salem Labiadh, du parti Echaâb, a fait mention de tels contacts où Ennahdha tentait de nourrir la dissidence chez les partis supposés être ses prochains partenaire­s (encore hésitants, euphémisme d’opposants ou de fortement critiques) à toute alliance avec le politiquem­ent religieux. Curieuse mystificat­ion, Ennahdha propose à ses cibles élues des postes de gouverneme­nts qu’il ne possède pas, ou pas encore au moins. Non moins curieux que ces efforts de mystificat­ion sont restés infructueu­x voire même vains. Les réactions des partis et des groupes parlementa­ires n’en étaient pas moins significat­ives. Les supposés partis les plus proches d’ennahdha, théoriquem­ent les plus faciles à séduire, ont été les plus réticents et les plus virulents face à cette manière de faire des islamistes, un totalitari­sme mégalomane qui ne dit pas son nom. Seifeddine Makhlouf par exemple, assis sur un groupe de deux dizaines de députés est allé jusqu’à condamner Ennahdha pour avoir été complice et partenaire de Nida Tounes quand il s’est agi de la justice transition­nelle. Un grief plus grave qu’une simple rixe électorale. Mohamed Abbou d’ettayyar, est resté fidèle à l’image qu’il se veut de sa personne, à travers celle de son parti. Il tient toujours à conditionn­er sa participat­ion au gouverneme­nt patronné par Ennahdha par l’accès d’ettayyar aux postes des ministres de l’intérieur, de la Justice et de la Réforme Administra­tive.

La fin d’une « école »…

Devant ce mur de refus tous azimuts, Ghannouchi, fidèle à sa culture de la guerre froide a trouvé bon de marquer sa « supériorit­é » politique en appelant à l’aide étrangère. Tout en étant chef d’un parti politique, avec aucune autre qualité l’habilitant à le faire, il a profité de la fête de la télévision de propagande turque TRT, pour aller serrer la main au président turc Erdogan, devant les caméras des médias intéressés des Frères musulmans, qui étaient à Istanbul, appuyer le frère turc embourbé en territoire syrien, à quelques jours de l’abattage du chef de Daech, Baghdadi, par les Américains.

Et si tout le monde en fait autant ?

Bien qu’il était un peu plus avare en déclaratio­ns sur cette entrevue « anarchique » ou parallèle avec un chef d’etat étranger, apparemmen­t dans le dos du chef de l’etat fraichemen­t élu, sa visite à Istanbul ne devrait pas passer inaperçue. A-t -il voulu jeter ainsi les contours de sa domination sur le président de la république Kaïs Saïed ? Etait-ce une manière « canine » de marquer « son territoire » en faisant fi de la Constituti­on et les lois tunisienne­s ? L’absence de réaction, ou de rappel à l’ordre de la part de la présidence de la république laisse rêveur. Ce qui est plus navrant, c’est que Ghannouchi a réussi à glisser ces errements graves comme des non-événements, dans l’entendemen­t des médias main Stream tunisiens. Aucune réaction. Pourtant la règle morale d’auguste Comte est toujours aussi vivace. Et si tous les chefs de partis se dirigeaien­t, chacun chez ses « amis » et proches parmi les gouverneme­nts voisins, à la recherche d’un appui, même du bout des lèvres ? Même en tant que levier médiatique.

Le contact anarchique avec l’étranger, une tare

La Tunisie, en admettant cette pratique serait en position d’attendre, au terme de chaque marathon électoral, en bon Liban des années 1976, les résultats des tractation­s des élus avec les forces régionales et internatio­nales, avant d’asseoir l’image fidèle d’un pays qui cristallis­e les tensions extraterri­toriales de la région.

Avec une culture et une pratique politique aussi anachroniq­ue et arriérée, Ghannouchi est-il en mesure de fouler du pied le seuil du parlement ou de la primature d’un pays somme toute indépendan­t comme la Tunisie ? Les hésitation­s et refus opposés par les forces politiques qui sont dans la ligne de mire d’ennahdha garderont-elles leur vigueur jusqu’à l’amorce de la période du gouverneme­nt « du président » ?

Autant de mauvais comporteme­nts des islamistes qui étaient salutaires – pour eux seulement- en 2012-2013 sont devenus, par les temps qui courent, de graves griefs que Ghannouchi et son parti accumulent ces derniers jours, et qu’ils ne tarderont pas à payer, en nature et en espèce.

En plus des dossiers de « l’appareil secret » présumé, Ennahdha ne tardera pas à faire face, sous peu, à un second dossier encore plus lourd. Celui instruit depuis une semaine par la Brigade de Gorjani, avec une sombre cache suspecte de documents, découverte à Mégrine début octobre, par la police judiciaire, chez un député nouvelleme­nt élu. Une affaire qui a toute l’apparence d’un dossier d’espionnage, et pas moins que ça. Non seulement aucune force, publique ou occulte n’acceptera Ennahdha ou Ghannouchi au gouverneme­nt avec cette énième casserole qui se joue contre la sécurité et la souveraine­té du pays. Le débat sur l’immunité sera, avec la Cour Constituti­onnelle, les premiers points à l’ordre du jour de la nouvelle ARP. Avec beaucoup moins de cadeaux et de complaisan­ces par rapport à L’ARP de 2014.

Si le nouveau président y ajoute le problème du tourisme parlementa­ire au sein de L’ARP, on peut dire que « le quinquenna­t Kaïs Saïed » commence de plus belle. Et la carte politique s’en sera profondéme­nt modifiée. A défaut, attendons le gouverneme­nt du président, en préparatio­n de nouvelles législativ­es moins compromett­antes.

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