La Sebkha de Sijoumi : une aubaine maudite
Environnement
Chaque année, le gazouillement des flamants rose qui sillonnent les éthers sombres annonce l’arrivée du printemps et du beau temps. Des sons qui nous plongent dans de très lointains souvenirs d’enfance. Après avoir parcouru des milliers de kilomètres, ces oiseaux migrateurs trouvent refuge dans le grand lac de Sijoumi. Une aubaine pour cette espèce mais une malédiction pour les riverains et les habitants des environs.
Ce joyau de la nature s’est transformé au fil des années en dépotoir infecte et nauséabond. S’agissant d’une zone d’équilibre écologique qui tamponne la plupart des écoulements, la Sebkha de Sijoumi constitue un exutoire des eaux de surface du bassin versant. Avec une superficie de 3 mille hectares, elle cristallise à la perfection l’impact néfaste de l’homme sur la nature. En effet, cette zone humide unique au monde s’est vue envahie par toutes sortes de bactéries et d’insectes provenant de l’urbanisation anarchique et excessive.
Zone agricole par excellence, jadis, la lagune salée riche en biodiversité a été dévastée par l’exode rural des années 20s et lourdement touchée par la crise économique des années 30s. au fil des années et en l’absence d’une stratégie d’urbanisation adéquate et d’une volonté politique réelle, la Sebkha s’est transformée en décharge des eaux usées et d’ordures de toutes sortes. Une aubaine naturelle unique
En longeant les rives de la Sebkha Sijoumi, l’on est saisi par cette grande étendue de surface aquatique où l’on aperçoit par-ci et par-là de toutes petites parcelles de terre où les fameux flamants rose se plaisent à y vivre pendant la saison chaude. Site de biodiversité par excellence, elle est également un refuge pour plusieurs espèces d’oiseaux rares et en voie d’extinction. La richesse de la faune et de la flore subjugue. L’étalage d’une infinie d’arbustes et de fleurs et la multitude d’espèces d’oiseaux forcent l’admiration et fait presque oublier la misère autour.
Belle et imposante pendant les 4 saisons, la lagune fortement salée est bordée de 190 hectares de forêts qui abritent diverses espèces d’arbres. Des hectares de terres fertiles et agricoles bordent le lac.
A à peine 13 kilomètres de la capitale, la Sebkha offre un spectacle inédit et unique au monde. Sa beauté saisissante réunit une biodiversité riche et une verdure luxuriante. Le lac aurait pu être converti en parc écologique. Une attraction qui serait la bienvenue aux riverains, grands comme petits. La Sebkha offrira un centre d’animations écologiques, une occasion pour initier les enfants voire les adultes à la culture du développement durable, à l’amour de la nature et au respect de l’environnement. Autant de valeurs humaines quasi-inexistantes dans la famille tunisienne et dans la stratégie gouvernementale et éducative.
Convertie en parc écologiques, elle pourra offrir aux écoliers des activités de loisirs et sensibiliser le grand public à la découverte de la nature luxuriante qu’offre cette lagune et pourquoi pas leur apprendre à avoir la main verte comme faire du jardinage et de la récolte ou observer les espèces d’oiseaux qui visitent les lieux chaque année.
Si on pousse un peu plus l’optimisme et l’ambition, une équipe de personnel écolo pourrait être mise à la disposition du lac pour veiller à sa propreté et le protéger ; cette équipe pourrait, notamment encadrer les visiteurs et initier les enfants aux techniques de la culture, d’observation des animaux à travers les saisons. Ainsi ces petits écoliers apprendront le compostage, le recyclage, la biologie, l’étude du sol, de la faune et de la flore et la valeur de cette biodiversité.
A vrai dire, ce projet ne relève pas de l’impossible puisqu’en 2014, nous avions osé rêver de le voir concrétisé. A l’époque, en partenariat avec la société civile, le gouvernorat de Tunis a entamé des travaux afin de transformer le site en un parc écologique et viable. Les travaux avaient pour objectif primaire de protéger les rives du lac, de planter des arbres, de traiter contre les mouches et de nettoyer les lieux des tonnes d’ordures qui polluent le site.
Malheureusement, en l’absence d’une réelle volonté politique, ce projet n’a pas réussi à séduire les décideurs et n’a pas été introduit dans les grands projets de l’etat.
Mort-né, le rêve a cessé d’être. La Sebkha de Sijoumi a retrouvé petit à petit ce visage hideux auquel le condamne l’homme depuis de longues décennies.
Le délaissement a transformé le rêve en chimère. Les travaux de réhabilitation et d’aménagement des espaces de promenades et et de loisirs sont maintenant bien loin. Le lac se venge à sa façon en renvoyant aux riverains la récolte de ce qu’ils sèment : odeurs nauséabondes, des nuages de moustiques et un air irrespirable.
La nature a toujours le dernier mot !
En l’absence d’une vision stratégique et d’éducation environnementale, la Sebkha de Sijoumi s’est transformé en 3000 hectares de malédictions pour les dizaines de milliers de citoyens qui ont envahi au fil des années les terres agricoles. L’explosion démographique et l’exode rural ont défiguré l’espace et l’ont dévasté par la pollution. La région accueille depuis les années 70s, les citoyens tunisiens venus de toutes parts à l’affût d’un travail et d’une vie plus digne.
Installés à la périphérie du centre-ville de la capitale, ils ont été marginalisés de tout temps et par tous les gouvernements.
A quelques minutes de la capitale, toutes ces communautés qui squattent les rives de la Sebkha demeurent des laissés-pour-compte. Les services publics y sont rares et en piteux état : transport, santé, infrastructure. La misère et le manque de moyens ont fait accroître l’abandon scolaire, le chômage et la délinquance. Une injustice sociale qui perdurent jusqu’à nos jours.
Pour ces riverains, le site Sijoumi ne représente aucunement une aubaine mais bien une malédiction. En été, ça pue et en hiver ça déborde. Avec les changements climatiques, le lac envahit très souvent les maisons pendant les fortes pluies.
Aucun plan d’aménagement sérieux n’a été fait. Bien au contraire. Certaines décisions ont encore plus lésé les habitants du Sijoumi. Le bilan hydraulique du lac a été modifié par l’homme et cause depuis de vrais désastres environnementaux sur toute la banlieue qui en paye lourdement les frais. L’expansion urbaine anarchique et même organisée par l’etat a provoqué le ravinement. Envahis par du bêton et du construit, le bassin versant est de plus en plus imperméable ce qui bloque l’évacuation des eaux. L’eau est donc stagnée pendant de très longs mois. Les obstacles installés par l’homme dans le cours naturel des oueds augmentent ce phénomène de stagnation des eaux.
La dégradation de l’intégralité du site et de la lagune représente une catastrophe naturelle causée l’humain. La réponse de la nature n’a pas tardé.
Aujourd’hui, plus que jamais, la Sebkha prend sa revanche. L’extension des marécages a favorisé la prolifération d’insectes et d’odeurs nauséabondes. L’explosion démographique va de pair avec l’augmentation des déchets déversés dans la sebkha ce qui a favorisé la pollution de l’eau. Riches en matières organiques et chimiques, les eaux sont envahies par une pollution bactériologique aquatique qui dégage des odeurs néfastes pour les habitants de toute la zone.
La disparition des terres agricoles qui laissent place à un urbanisme sauvage et anarchique a dénaturé les lieux et rend la qualité de vie des riverains très médiocre : les travaux d’assainissement et de ramassage des ordures deviennent difficiles. L’accès aux services publics et à l’eau potable est réduit.
Mais le pire c’est la recrudescence des inondations favorisées par la nature du sol qui est très argileux.
Avec le réchauffement planétaire et en ce début de la saison de pluie, les risques sont énormes.