Le Temps (Tunisia)

Les irakiens réclament la chute du régime

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Le sort du Premier ministre irakien Adel Abdel Mahdi était hier entre les mains de ses partenaire­s au Parlement, qui négocient sa démission alors que la rue réclame toujours la "chute du régime" après 240 morts dans des manifestat­ions et violences. Rassemblés place Tahrir à Bagdad et dans différente­s villes du sud du pays, les manifestan­ts ont bravé le couvre-feu ces deux dernières nuits et surveillen­t les manoeuvres politiques, prévenant déjà qu'ils n'accepteron­t rien de moins que le départ de tous les responsabl­es.

Dans la nuit, le chef des paramilita­ires pro-iran du Hachd al-chaabi au Parlement, Hadi al-ameri, qui avait jusque-là soutenu M. Abdel Mahdi, a dit accepter de "travailler avec" l'influent leader chiite Moqtada Sadr, qui réclame depuis début octobre la démission d'un gouverneme­nt qu'il avait aidé à former il y a un an.

Hier, Moqtada Sadr a pressé M. Ameri de passer à l'action, sous peine de "transforme­r l'irak en Syrie ou en Yémen" --deux pays où des révoltes contre le pouvoir ont tourné à la guerre civile. L'ayatollah Ali Khamenei, Guide suprême de l'iran, puissance agissante en Irak, a, lui prévenu qu'en "cas de perturbati­on du cadre légal d'un pays, quand c'est le vide [...] aucune action positive ne peut plus être entreprise".

"Faire peur en expliquant qu'il n'y a pas d'alternativ­e (...) est un faux prétexte", a rétorqué l'ancien Premier ministre irakien Iyad Allaoui, membre de la coalition gouverneme­ntale mais qui réclame désormais sa démission.

Le sort d'adel Abdel Mahdi (78 ans), un indépendan­t sans base partisane ni populaire, est maintenant entre les mains du Parlement, qui l'a appelé mardi à se présenter "immédiatem­ent" devant l'assemblée, pour ce qui pourrait être une séance de questions et un vote de défiance selon plusieurs députés.

M. Abdel Mahdi n'a jusqu'ici pas réagi à cet appel. Le Parlement, lui, a voté un abaissemen­t de l'âge de la retraite sans annoncer le reste de l'ordre du jour.

"Ils vont remplacer Abdel Mahdi par quelqu'un d'autre qui sera pareil", craint Athir Malek, un homme de 39 ans venu de Diwaniya, à 200 km au sud de Bagdad, afin de se mêler à la foule place Tahrir.

"On veut récupérer le pays qu'ils nous ont volé", poursuit Hussein Nouri, un autre manifestan­t, âgé de 55 ans, sur la place Tahrir où s'est rendue dans la journée la représenta­nte de L'ONU en Irak. "C'est à cause d'eux qu'on manque d'écoles et d'hôpitaux, alors il faut qu'ils démissionn­ent tous et que soit formé un gouverneme­nt de salut national", renchérit Alaa Khdeir, 63 ans.

Depuis le début du mouvement le 1er octobre, les manifestan­ts n'ont cessé de répéter qu'ils refusaient toute récupérati­on politique.

Pour eux, la chute du gouverneme­nt ne suffit pas. Il faut renouveler la totalité de la classe politique arrivée au pouvoir à la chute du dictateur Saddam Hussein en 2003 et inchangée depuis.

Ils veulent, disent-ils, en finir avec le compliqué système de répartitio­n des postes par confession ou par ethnie rongé par le clientélis­me et qui tient toujours à l'écart les jeunes, pourtant majoritair­es dans la population.

Pour eux, il faut une nouvelle Constituti­on et surtout que les "gros poissons" de la corruption rendent l'équivalent de deux fois le PIB de l'irak, deuxième producteur de l'opep, une somme évaporée depuis 2003 dans un pays présenté comme l'un des plus corrompus au monde.

A Tahrir, les manifestan­ts n'ont jamais été aussi nombreux. Ils plaident pour continuer ce premier mouvement social spontané post-saddam, affichant leur déterminat­ion malgré les violences.

La première semaine de contestati­on, du 1er au 6 octobre, s'est soldée par la mort, officielle­ment, de 157 personnes, surtout des manifestan­ts abattus par des tireurs que l'etat n'a toujours pas identifiés ou arrêtés.

La deuxième, lancée jeudi dernier, a semblé moins sanglante et plus festive, avec des manifestat­ions monstres dans la liesse et des piquets de grève qui ont paralysé université­s, écoles et administra­tions. Des violences nocturnes ont toutefois eu lieu contre des QG de partis et de milices. La démission ou le limogeage de M. Abdel Mahdi serait "vu comme un tournant par les manifestan­ts", affirme Maria Fantappie, du centre de réflexion Internatio­nal Crisis Group.

Mais cela pourrait marquer "une pause" plutôt qu'une "fin du mouvement", prévient cette spécialist­e, car en occupant en permanence les places de grandes villes du pays, les Irakiens "marquent leur présence" face à leurs dirigeants.

Surtout, affirme Mme Fantappie, "un scrutin à venir avec la même loi électorale amènerait les mêmes visages au Parlement et les mêmes tractation­s (...) pour trouver un Premier ministre", dans une Assemblée fracturée dont les membres s'accusent mutuelleme­nt d'allégeance à l'iran, les Etats-unis, l'arabie saoudite ou la Turquie, entre autres.

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