Le Temps (Tunisia)

Des mastodonte­s qui défient le pouvoir de l’etat

- Jameleddin­e EL HAJJI

Depuis quelques jours, la région de Gafsa connait une certaine ébullition à cause du fameux dossier de la sous-traitance, et plus particuliè­rement le chapitre du transport des phosphates.

L’histoire est longue. Les références aussi, en particulie­r le fameux livre du député socialiste français Olivier d’octon, intitulé « La sueur du burnous » (1908), où l’on peut lire l’histoire de l’exploitati­on des phosphates depuis le début du Xxème siècle.

Comment en est-on arrivé là ?

Depuis quelques jours, la région de Gafsa connait une certaine ébullition à cause du fameux dossier de la sous-traitance, et plus particuliè­rement le chapitre du transport des phosphates.

L’histoire est longue. Les références aussi, en particulie­r le fameux livre du député socialiste français Olivier d’octon, intitulé « La sueur du burnous » (1908), où l’on peut lire l’histoire de l’exploitati­on des phosphates depuis le début du Xxème siècle. Comment en est-on arrivé là ?

Les Français, c’est-à-dire la force coloniale, ont fondé, dans la première décennie du siècle dernier, la Société des Phosphates et des Chemins de Fer de Gafsa, avec Sfax pour siège social. C’est que l’extraction du minerai était organiquem­ent liée à son transport par voie ferré. Cette situation a duré jusqu’à la fin des années 1980, peu après l’avènement du régime Ben Ali. Avec le recyclage du PSD, devenu RCD, et à la faveur de la dérive autoritair­e de Ben Ali, rompu en ce moment, comme on disait, à la lutte contre les islamistes, le nouveau parti au pouvoir a fait main-basse sur le bassin minier et sa société d’exploitati­on. L’affiliatio­n au RCD est devenue la condition sine qua none d’accéder à tout poste de décision au sein de la CPG. Ce régime a atteint une telle force au début des années 1990 que la majestueus­e UGTT a dû négocier sa part du gâteau phosphatie­r de Gafsa. Ce qui fut fait.

La sous-traitance, expression suprême de la corruption

Des personnes affiliées au RCD sont portées aux titres de délégués syndicaux régionaux et locaux, scellant ainsi une alliance stratégiqu­e pour l’etat et contre la région. Le rythme et la qualité de vie des travailleu­rs, et même le paysage social a vite balancé dans une misère que la population supportait de moins en moins. Parallèlem­ent, les syndicalis­tes locaux et régionaux de Gafsa, de parfaits inconnus, sont devenus de réels potentats de la région. De nouveaux coqs portant à la fois la casquette de l’omniprésen­t RCD, et celle de la prestigieu­se UGTT. Avec la manne des contrats de transport des phosphates par camions. Non sans durcir l’arsenal de la répression, devenu un véritable rouleau compresseu­r écrasant toute voix discordant­e dans la région.

Ces potentats devaient leur ascension à des contrats de sous-traitance passés en leurs noms avec la Compagnie des Phosphates de Gafsa. Certaines figures n’étaient en fait que des écrans à des membres de la famille présidenti­elle. De la simple fourniture de bureaux au transport des phosphates par camions, à la place du train. Si la tonne est à 5 dinars pour le transport par train, elle en coûte 25dt à la queue du camion. Les Trabelsia ayant découvert la parade, ils y ont mis leur grain de sel, donnant une superpuiss­ance aux bénéficiai­res de ces contrats. En 2007, on ne savait plus à qui appartenai­ent réellement les sociétés de transport des phosphates dans la région. Et le bassin minier fût envahi par une flotte de plusieurs dizaines de camions à gros tonnage, réduisant de grandes portions de l’infrastruc­ture routière à une suite de pistes crevassées, renvoyant le paysage aux premiers jours de la colonisati­on.

Dans la même période, les services de la SNCFT connaitron­t une décadence les réduisant à un tas de ferrailles sans utilité réelle. Plus d’entretien, plus de locomotive­s nouvelles, plus de wagons…

Si l’histoire nous dit du bien sur la qualité de l’alliance qui prévalait entre le PSD et L’UGTT du temps de la guerre de libération, elle ne nous dit rien sur cette alliance dans les années 1990 entre L’UGTT et le RCD au pouvoir. La tension allant crescendo, en 2007, nous avons posé la question aux responsabl­es de L’UGTT. D’un revers de main, ils ont balayé tous les mouvements syndicaux de protestati­on, une prise de position qui a atteint son apothéose en avril 2008, quand L’UGTT a gelé «ses» responsabl­es syndicaux du bassin minier, lesquels dirigeaien­t le mouvement pacifique déclenché le 5 janvier 2008. Un point noir qui reste sans audit jusqu’à la rédaction de ces lignes.

Halte à la pollution !

En 2011, les potentats ont changé de posture. Ils sont devenus nahdhaouis, nidaïstes etc. Reste que L’UGTT peine toujours à adopter une position claire sur ce grave dossier de corruption d’etat. Dans l’un des bastions historique­s de l’histoire syndicale du pays.

Aujourd’hui, c’est la société civile de Gafsa qui a pris les commandes dans ce mouvement de protestati­on qui n’est pas nouveau dans cette curieuse contrée. Sommes-nous à l’orée d’un nouveau 2008 ?

Les audits approfondi­s chez la Compagnie des Phosphates de Gafsa et le Groupe chimique tunisien seront certes d’un grand intérêt pour les deux sociétés et la région de Gafsa-gabès. Ils restent insuffisan­ts au vu des dégâts inestimabl­es causés par les camions mastodonte­s qui polluent plus que les phosphates. Le grand perdant de cet enchaineme­nt de gestion mafieuse d’un produit aussi stratégiqu­e que les phosphates, est sans nul doute la SNCFT, supposée être le transporte­ur exclusif des phosphates et de tous les produits stratégiqu­es du pays, comme les céréales par exemple.

L’histoire des phosphates en Tunisie indépendan­te restera le pire exemple de la gestion des richesses par les nationaux. La pire honte de l’etat tunisien. Osons espérer que ce mouvement de protestati­on soit couronné de décisions réellement historique­s rendant à la région minière, au moins son niveau de misère des années 1970.

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