Le Temps (Tunisia)

Comptes réglés et règlements de comptes

- Ahmed NEMLAGHI

Voilà bientôt huit ans que l’instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC) a été créée (novembre 2011) traînant, malheureus­ement, un bilan négatif, car elle n’est pas apparemmen­t parvenue à éradiquer ce fléau qui n’a fait qu’empirer depuis, et étendre ses tentacules à tous les secteurs de l’etat. Cela n’est certaineme­nt pas dû à une mauvaise volonté des responsabl­es qui se sont relayés à sa tête, loin s’en faut, mais aux mécanismes déployés en vue de parvenir à maîtriser la situation qui sont peut-être à améliorer ou même à revoir.

Fallait-il en effet à commencer par le secteur public en essayant d’enquêter par exemple dans les administra­tions de constater les dépassemen­ts et les abus de toutes sortes, et ce du sommet à la base ? A titre d’exemple, certains hauts cadres abusent des avantages qui leur sont accordés, dans l’exercice de leur fonction. C’est le cas de ceux qui utilisent les voitures de fonction à des fins personnell­es. Ou encore les gratuités accordées aux agents dans certaines entreprise­s publiques, qui en abusent à satiété et sans aucun souci de la préservati­on des deniers publics qui appartienn­ent à la collectivi­té. C’est également le cas des différents trafics des biens publics, tels que le trafic de médicament­s qu’on a plusieurs fois enregistré dans certains hôpitaux.

Dans le secteur financier c’est une autre forme de trafic qui a échappé au contrôle de L’INLUCC qui avait qualité pour intervenir dans ce secteur, depuis les recettes des finances, où le trafic de certains produits est pratiqué au vu et au su de tous, notamment dans les cigarettes, locales et étrangères. Un paquet de cristal est vendu chez le détaillant ou « Hammas », au double du prix, alors qu’il est manquant au débit de tabac. Cela est dû au fait que le trafic commence à partir de la recette des finances où les trafiquant­s font la pluie et le beau temps en raflant toute la quantité de cigarettes du détaillant légal, pour en faire de la spéculatio­n ce qui joue sur le prix et c‘est évidemment le consommate­ur qui se trouve lésé. Idem pour d’autres produits tels que l’huile de soja qui est stockée par les trafiquant­s.

Le marché parallèle a affecté l’économie et nui par là même aux citoyens, les plus modestes parmi eux qui n’arrivent plus à joindre les deux bouts.

Par ailleurs les malversati­ons au niveau des instances de l’etat se révèlent à tous les niveaux, et dans tous les secteurs.

Le domaine de lutte contre la corruption est donc très vaste et semblable à un gros puzzle avec plusieurs pièces manquantes, ce qui nécessite un travail de titans pour y parer. On comprend donc en quelque sorte, l’échec de L’INLUCC dans sa mission, bien que certains pensent à un manque de diligence de sa part, sans compter ceux parmi les concernés par la corruption qui lui mettent des bâtons dans les roues par tous les moyens.

En fait c’est un travail collectif qui peut aider à la lutte contre la corruption. De son côté L’INLUCC n’a cessé de dénoncer des malversati­ons, que ce soit par le trafic, la spéculatio­n et le marché parallèle. Il y a d’abord les audits qui sont chargés de déceler les causes du déclin économique au niveau des administra­tions et des établissem­ents publics et même semipublic­s. Il y a également les instances judicaires qui sont à même d’intervenir, après une procédure engagée par L’INLUCC qui ne l’a pas fait jusqu’à présent, son rôle s’étant limité à rassembler des dossiers de différente­s plaintes, en ne transmetta­nt à la justice qu’une infime partie, c’est-à-dire quelques dossiers. La justice n’a même pas tranché sur ces dossiers qui lui ont été transmis.

Un autre dossier relatif à la corruption qui est encore en instance et qui n’a pas avancé d’une semelle: celui des fonds spoliés.

Le président de L’INLUCC Chawki Tabib, a encore une fois confié dernièreme­nt, que l’instance a échoué en ce qui concerne le dossier des fonds spoliés. En effet, l’absence de coopératio­n de la part de certains pays étrangers, l’insuffisan­ce de l’expérience tunisienne dans le domaine et le manque de coopératio­n et de coordinati­on entre les différente­s structures nationales concernées ont été autant de raisons ayant contribué à cet échec, a-t-il expliqué.

Ce constat prouve encore une fois l’inefficaci­té des mécanismes mis en place pour traiter les fonds spoliés et placés à l’étranger.

En fin en ce qui concerne la déclaratio­n des biens, L’INLUCC a commencé à réagir en réduisant de 2/3 le salaire de «certains employés ayant refusé de déclarer leurs bien auprès de l’instance» et ce, conforméme­nt aux dispositio­ns de la loi 89/2017. Et là deux questions se posent : d’abord de quels employés s’agit-il, ou cela s’est fait d’une manière arbitraire ? Ensuite on se demande pourquoi l’instance a attendu jusqu’à maintenant pour appliquer ladite loi.

En outre le président de l’instance a déclaré dernièreme­nt que 182 plaintes ont été déposées contre des dirigeants politiques, des associatio­ns et des journalist­es qui n’ont pas déclaré leurs biens auprès de l’instance. Sauf qu’on ne connait pas sur quels critères ces plaintes ont été déposées ni quelle suite a été réservée à ces plaintes. Il y a une pénalité qui prendra fin dit-il si le fonctionna­ire déclare ses biens auprès de l’instance. Cependant, ne pouvant déduire les salaires des journalist­es, des dirigeants politiques et ceux des associatio­ns, «ils auront seulement une sanction pénale et ils peuvent toutefois déclarer leurs biens auprès de l’instance», a encore précisé le président de L’INLUCC.

Toujours est-il que l’action de L’INLUCC manque d’efficacité, que le président de l’instance attribue à une certaine «complicité ayant freiné le processus de restitutio­n des fonds».

En fait, L’INLUCC ne peut à elle seule, mener ce combat de titans qu’est la lutte contre la corruption. Celle-ci nécessite, la participat­ion de tous les intervenan­ts de la société civile, les instances de police et de justice y aidant, chacun toutefois dans le cadre des prérogativ­es qui lui sont conférées par la loi.

Il faut surtout que la lutte ne prenne pas l’aspect d’un règlement de comptes ni de chasse aux sorcières, mais un vrai combat dans l’intérêt général.

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