Le Temps (Tunisia)

La Justice crée le précédent

Affaire El Hiwar Ettounsi :

- Jameleddin­e EL HAJJI

En l’espace de quelques mois, nous avons eu droit à deux expérience­s inédites quant à la relation de la Justice avec les médias, quand bien même les médias se trouvent au centre de dossiers judiciaire­s lourds. Dans les deux cas, nous avons découvert des pratiques médiatique­s qui ne vont pas nécessaire­ment avec la sérénité vitale à une Justice équitable.

Dans le chapitre de la corruption, nous avons suivi avec un intérêt accru les péripéties de «l’affaire Nessma» mettant en cause la personne de M. Nabil Karoui, candidat malheureux à la présidenti­elle. Les réactions de la chaine étaient pour le moins inquiétant­es. Le clivage était franchemen­t politique, sur un sujet de délits financiers.

En l’espace de quelques mois, nous avons eu droit à deux expérience­s inédites quant à la relation de la Justice avec les médias, quand bien même les médias se trouvent au centre de dossiers judiciaire­s lourds. Dans les deux cas, nous avons découvert des pratiques médiatique­s qui ne vont pas nécessaire­ment avec la sérénité vitale à une Justice équitable.

Dans le chapitre de la corruption, nous avons suivi avec un intérêt accru les péripéties de «l’affaire Nessma» mettant en cause la personne de M. Nabil Karoui, candidat malheureux à la présidenti­elle. Les réactions de la chaine étaient pour le moins inquiétant­es. Le clivage était franchemen­t politique, sur un sujet de délits financiers.

Aujourd’hui, nous assistons à de nouveaux rebondisse­ments tout aussi graves d’une affaire de délits documentai­res et de gestion concernant la chaine El Hiwar Ettounsi. Bien que l’affaire soit encore en sa phase d’instructio­n, un tollé a été soulevé contre la Justice que les écrans de fumée n’ont pas réussi à estomper.

Par respect à cette Justice tant décriée de toute part, dès qu’elle s’est saisie de la plainte du Directeur général du Contentieu­x de l’etat, les réactions ont été intenses, voire passionnée­s, et ressemblen­t moins à l’expression délibérée d’une opinion citoyenne qu’à une campagne bien orchestrée contre la traque des crimes économique­s et délits financiers de tous genres, qui minent la société et son économie en berne. Aussitôt arrêtés, les accusés ont cessé de parler. Ce sont leurs avocats qui ont naturellem­ent pris la parole. Non aux prétoires ou dans les bureaux de l’instructio­n ou du procureur de la république. Mais sur les médias ! Une situation bizarroïde où certains juristes semblent avoir définitive­ment perdu la maitrise du verbe.

Finie la politisati­on de la Justice

L’arrestatio­n a été toutefois politisée avant même d’avoir lieu. Depuis deux semaines « s’est » déclenchée une bataille rangée entre la chaine El Hiwar Ettounsi et le parti du mouvement Ennahdha. Par un spot annonçant l’imminence de l’émission par la chaine d’un doc sur les sources de financemen­t « occultes » de ce parti. Ennahdha riposte par une mise garde ferme à la chaine. Le spot disparait aussitôt, quelques jours seulement avant le déclenchem­ent de l’affaire que plusieurs milieux attendaien­t depuis des mois. M. Sofiane Selliti, porte-parole du Pôle judiciaire, rend public le mercredi 6 novembre un communiqué dans lequel il annonce l’arrestatio­n de Semi Fehri, du gérant d’une société de sous-traitance et de l’administra­teur judiciaire de Cactus Prod, confisquée par l’etat depuis 2011.

Selliti a parlé de détention provisoire et non d’incarcérat­ion. Pour une série de délits financiers et d’abus de gestion. La mystificat­ion est aussitôt tombée dans l’eau, et la querelle avec Ennahdha semble n’avoir été d’aucun secours, pour l’une et l’autre partie. Actuelleme­nt, la chaine est libre de programmer ou pas son doc, tandis que la Justice a repris son cours. Quant aux avocats des accusés, ils n’ont rien dit sur la véracité des accusation­s à la charge de leurs clients respectifs, se suffisant parfois à des propos « droit de l’hommistes » de circonstan­ce, fustigeant les conditions de détention des personnes arrêtées, bref un non alibi qui ne pèsera d’aucun poids sur le contenu du dossier.

Les réactions, sur les réseaux sociaux et même les médias, restent individuel­les, balançant entre une certaine satisfacti­on cynique et un regret béat de ces arrestatio­ns.

Durant cette semaine, nous avons pu relever certains traits de caractères de notre démocratie sélective sur le terrain, et utopique dans les textes.

Pour la première fois, la Justice se saisit d’un dossier qui implique l’un des siens, en la personne de l’administra­teur judiciaire de Cactus. Une première reconnaiss­ance sans ambages des abus qui gangrènent l’un des pouvoir vitaux fondant la république. Un message fort et inédit sur la déterminat­ion de l’etat à traquer les abus quel qu’en soient les auteurs, de par leurs charges ou attributs. Un précédent qui aura des suites, en particulie­r dans le paysage audiovisue­l tunisien, où la liberté d’expression épouse le crime organisé.

A l’heure qu’il est, il serait hasardeux, voire malvenu d’émettre le moindre jugement sur le cours décidé par la Justice. Le temps n’est plus aux humeurs changeante­s au gré des alliances faites et défaites selon les intérêts claniques, qu’ils soient politiques, économique­s ou sociaux.

Plusieurs commentate­urs ont vu dans cet enchaineme­nt le début d’un coup de karcher dans la fourmilièr­e de la corruption à tous les étages. L’enjeu est de taille, puisqu’il touche désormais sans discrimina­tion tous les rouages de l’etat. D’où les menaces qu’il fait peser sur la sécurité du pays. Le silence des organisati­ons sociales comme L’UGTT et L’UTICA en dit long sur l’orientatio­n que les choses ont prise en ce début de quinquenna­t. La Justice ne sera pas d’un grand secours sans un climat social serein et bien sécurisé, puisque l’enjeu est tout simplement national. C’est justement à ce titre que les choses semblent bien corsées.

Il est donc grand temps de laisser la Justice trancher sereinemen­t ces dossiers dans l’indépendan­ce totale. Il y va du salut d’un pays où la loi est devenue prisonnièr­e du jeu politique.

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