Un médecin s’en va, un secteur en deuil
La médecine tunisienne est en deuil. Une bougie s’est éteinte sous un ciel tunisien grisâtre. Le Professeur Amor Chadli n’est plus. Un homme exceptionnel d’une grande envergure que l’histoire peinera à reproduire. Premier doyen et l’un des fondateurs de la faculté de Médecine de Tunis, médecin personnel de l’ancien président Habib Bourguiba et premier directeur tunisien de l’institut Pasteur (1963). Il a à son actif plus de 200 publications scientifiques parues dans des revues médicales tunisiennes et étrangères, ainsi que plusieurs ouvrages scientifiques en langues arabe et française. Oui, la médecine tunisienne est en deuil. Elle pleure non seulement l’un de ses fils prodigues mais de plus ce décès intervient dans un contexte où animés par une forte ambition et visant de nouveaux horizons depuis la révolution de 2011, l’émigration des médecins tunisiens inquiète les pouvoirs publics. Déjà 800 médecins ont quitté le pays vers l’étranger en 2018, augmentant davantage le déficit du secteur souffrant déjà de l’exode de 1500 médecins. Et ce nombre s’élèverait à 900 en 2019 et à 2700 en 2022. C’est ce qui d’ailleurs a poussé le chef de l’etat, à faire appel aux médecins militaires, pour combler le manque de cadre médical dans les hôpitaux régionaux.
Comment, dès lors, ne pas pleurer sur le sort d’un secteur qui a connu ses heures de gloire, alors que le pays s’employait, grâce à des médecins dévoués à construire son système sanitaire au point que les médecins tunisiens se sont imposés comme références sur l’échiquier international et que, soixante ans après, fait de nouveau appel à la coopération internationale, en l’occurrence chinoise, pour combler son déficit en cadres médicaux et paramédicaux ? Faut-il rappeler que si l’écriture a été réinventée, par les Puniques, que le principe de la Démocratie, de la Chrétienté, de l’hygiène et la médecine, sont nés à Carthage, et sont le legs de la société Carthaginoise depuis sa création ?
Faut-il saisir l’occasion douloureuse du décès du Pr Amor Chedly, pour rappeler aux jeunes médecins qui surfent de grève en grève et qui refusent d’exercer dans les régions reculées, qu’apulée, ce médecin philosophe Carthaginois, a étudié et réorganisé tous les écrits médicaux d’autres civilisations ? Aux Égyptiens et aux Grecs, aux Perses, aux Indiens, aux Chinois, aux Tibétains, aux Yéménites, il reprendra de manière analytique et organisée, chaque description, et chaque terme, qu’il retranscrira pour une médecine moderne et précise, en modifiant, ou en y revisitant les lacunes.
Faut-il rappeler que la première femme médecin tunisienne, officiellement reconnue en 1930 est Madame Tawhida Ben Cheikh, et c’est aussi la première femme du monde arabe à exercer ce métier ? C’est elle qui mettra de même en place, puis dirigera le planning familial. Parmi les illustres, l’on citera aussi Salah Azaiez, Mahmoud Matri et les chirurgiens, Saadeddine Zmerli qui a réussi la première greffe rénale en Tunisie (1986), Mohamed Fourati (première greffe du coeur, 1993) et Tahar Khalfallah, (première greffe du foie, 1999). C’est grâce à de telles sommités que, la médecine tunisienne, considérée l’égale de la médecine en Europe, a pu disposer d’un capital-confiance qui lui permet de jouer dans la cour des grands. N’est-il pas honteux que, malgré le fait que la compétence de nos médecins n’est plus à démontrer, la modernité de nos hôpitaux et cliniques pluridisciplinaires, monodisciplinaires, l’infrastructure de pointe, le personnel paramédical de haut niveau, les Tunisiens peinent à se soigner ?