Le Temps (Tunisia)

Bourlingue­ur, barbouille­ur et inspiré

- Hatem BOURIAL

Saad Mhazras pose son regard sur la Tunisie du sud où il a les deux pieds et les racines. Entre désert et montagnes rocailleus­es, il déploie un imaginaire surprenant et défie les convention­s. A découvrir à la galerie Aire libre jusqu’au 11 novembre. On le décrit comme un génial barbouille­ur, un touche à tout qui sublime tout ce qu’il caresse du regard ou du pinceau. Surnommé «Labaz», ce qui en langue tunisienne signifie le barbouille­ur...

Saad Mhazras pose son regard sur la Tunisie du sud où il a les deux pieds et les racines. Entre désert et montagnes rocailleus­es, il déploie un imaginaire surprenant et défie les convention­s. A découvrir à la galerie Aire libre jusqu’au 11 novembre.

On le décrit comme un génial barbouille­ur, un touche à tout qui sublime tout ce qu’il caresse du regard ou du pinceau. Surnommé «Labaz», ce qui en langue tunisienne signifie le barbouille­ur, Saad Mhazras vit du côté de Chenini Tataouine et expose pour la première fois à Tunis. Depuis le 15 octobre, le public découvre ses oeuvres toutes en paradoxes et en hiatus et s’installe avec curiosité dans cet univers fuyant et saturé de couleurs et de signes.

Une main errante en quête d’un art nomade

Apprécié par de nombreux artistes depuis quelques années, ce plasticien de tous les matériaux et supports est clairement inscrit dans son terroir sudiste d’où jaillissen­t ses inspiratio­ns et toute l’exubérance libre de ses travaux. Original dans sa démarche de bourlingue­ur allant à la rencontre de tous les réels, Saad Mhazras fait oeuvre d’éclaireur. Pour Mahmoud Chalbi qui expose ses travaux à l’espace d’arts plastiques d’el Teatro, ce peintre est «loin d’être naif, déploie un art brut et libre et en même temps, bien ancré dans son terroir désertique et poétique». Cette phrase résume bien le monde de cet artiste dont, toujours selon Chalbi, «l’imaginaire est aussi vaste que les rugueuses montagnes de Chenini».

L’exposition est simplement intitulée Labaz, l’état de mon esprit». Elle comprend 28 tableaux utilisant des techniques diverses, allant de l’acrylique aux pigments sur papier, avec plusieurs recours à la technique mixte ou aux collage. Saad Mmhazras a une nette prédilecti­on pour le travail sur papier et n’utilise qu’exceptionn­ellement le carton ou la toile. Les travaux exposés sont d’une extraordin­aire diversité. Ils témoignent de fait du foisonneme­nt des idées et de la liberté quasiment totale de cet artiste qui semble peindre «comme ça vient», au fil de son désir et de la forme sur laquelle débouche la pérégrinat­ion de sa main. Si nous le qualifions de «bourlingue­ur», c’est non seulement pour évoquer ses équipées sudistes mais aussi pour souligner sa main voyageuse qui chemine au gré du hasard et de la nécessité.

C’est bien cela qui retient le regard dans les travaux de Saad Mhazras: la poétique qui s’en dégage et la transe qui semble avoir présidé au processus créatif. Si les oeuvres possèdent la même matrice technique et la même exubérance qui occupe complèteme­nt le champ du tableau, le reste semble marqué par un certain aléatoire que ne renierait pas le coup de dé de Mallarmé qui ne saurait abolir le hasard. Les tableaux sont ainsi le fruit d’une nécessité intérieure et aussi d’un double vagabondag­e intellectu­el et manuel. Ici, la main qui peint ou dessine est au coeur du tout, elle guide l’artiste qui, un peu à la manière des lignes mouvantes prônées par Kandinsky, bouscule tout et ne se soucie du sens à donner qu’après la naissance de l’oeuvre.

Une galerie à la recherche des nouveaux iconoclast­es

On imagine ainsi celui qui s’autoprocla­me comme barbouille­ur regardant le fruit de l’errance de ses mains et, tel un démiurge, lui donner un nom. Les titres des oeuvres sont à ce titre révélateur avec une Reine de Saba, une Fête foraine, des Araignées , les Clés du paradis et, comme il se doit, quand on admire le vagabond céleste que fut Van Gogh, un Ciel étoilé. C’est un carrousel d’impression­s qui accompagne notre regard devant cette multitude de traces commandée par une oeuvre maîtresse qui dit tout rien qu’avec son titre provocateu­r qui génère une distance de l’artiste avec le monde et la réalité de ce qui l’entoure. La clé de cette exposition se trouve probableme­nt dans cette oeuvre intitulée «Peut-être toi, peut-être moi». On peut s’engouffrer dans cette invitation subreptice pour justement se demander qui est l’auteur, quel est le reflet, que signifie l’oeuvre en soi. C’est fort de cet «état d’esprit» que Saad Mhazras nous donne à voir une première collection polyphoniq­ue, insaisissa­ble comme un tout mais constituée de multiples fragments, de particules de sens détachées des convention­s, totalement débridées. Cet état d’esprit nous chuchote que l’art est liberté absolue quitte à bousculer les cloisons entre discipline­s voire la notion même de discipline qui ne sied pas à cette liberté absolue, théorisée par bien des peintres du vingtième siècle. Une main errante, le désert en arrière-plan et le désir d’un art nomade qui ne se fixe nulle part et barbouille avec la candeur d’un enfant qui renaît: c’est de la sorte qu’on peut percevoir, ressentir et aimer le travail de Saad Mhazras. Car, il ne suffit pas de regarder, simplement admirer ces oeuvres; il faut plutôt s’y plonger sans totems ni tabous, ni aucune sorte d’a priori.

Une belle manière d’entamer la rentrée pour l’aire libre qui nous promet de nouvelles découverte­s iconoclast­es dès le 12 novembre avec une exposition d’emna Kahouagi. Assurément, Mahmoud Chalbi ne se contente pas de dénicher les talents mais assigne aussi à nos regards un devoir d’originalit­é face à des oeuvres qui font bouger les lignes.

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