Le Temps (Tunisia)

Quand l’instinct de la meute ressurgit…

- Jameleddin­e EL HAJJI

La violence s’installe dans tous les étages de la société. La violence physique bien sûr. Une violence qui ronge désormais tout ce qui fonde la vie commune en société. Une culture presque bien ancrée dans les moeurs d’un peuple que l’on dit pacifique et paisible à souhait.

La violence s’installe dans tous les étages de la société. La violence physique bien sûr. Une violence qui ronge désormais tout ce qui fonde la vie commune en société. Une culture presque bien ancrée dans les moeurs d’un peuple que l’on dit pacifique et paisible à souhait. Le nombre de crimes violents n’a jamais été aussi élevé, même dans les périodes les plus critiques que le pays a traversées, comme les années soixante où la misère et la disette ont durement frappé, en particulie­r dans les régions les plus reculées du pays.

Fait nouveau, la violence de nos jours se conjugue désormais à des « droits » nouveaux nés dans un contexte révolution­naire qui tutoie toutes les formes de transgress­ion, lesquelles font le terreau à une nouvelle société mafieuse, clanique, corporatis­te, anarchique etc. Une violence qui exacerbe chez l’individu l’instinct de la meute, contre lequel l’humanité a consacré toutes ses sciences, exactes et humaines. Dans un lieu public, un groupe de personnes entourent un individu, le tuent sur le coup, blessant au passage son père. Un grand moment d’émotion que la société s’impose en pareils moments comme catharsis, et le dossier prend son cours bureaucrat­ique dans les couloirs de la police et de la Justice.

Pourtant, la société civile et ses associatio­ns et organisati­ons savent mieux que quiconque que la violence physique est le corollaire d’une série de violences morales, politiques, économique­s, culturelle­s et sociales que l’on rechigne à nommer par peur ou par hypocrisie, si ce n’est par conformism­e au politiquem­ent correct.

Pour les violences morales, il suffit de regarder d’un peu plus près le dossier de l’héritage, dans une société qui aligne plus de femmes que d’hommes dans des secteurs névralgiqu­es de la société et de l’économie. Une injustice criarde consacrée sur fond religieux. Un franc déni de droit qui ne peut émaner que d’un ennemi que le pays peine à juguler. Contre le mouvement de l’histoire, L’ARP élit à sa tête un chef religieux qui ne rebute pas à assimiler la réflexion, la culture et le mouvement de l’histoire à une simple volonté céleste qu’il prétend représente­r sur terre, en particulie­r sous l’hémicycle de la Tunisie révolution­naire.

Violence morale aussi, quand la vie politique se résume, loin des réalités du moment à des guerres identitair­es et confession­nelles d’un autre temps, au moment où le pays périclite économique­ment à tous les niveaux. Au moment où des politicien­s et partisans, sans parler des courtisans, plaident ouvertemen­t sur les médias, le droit à l’hégémonie de l’économie parallèle, euphémisme de la contreband­e sans limite, non sans pomper dans les deniers de l’etat.

Violence morale aussi, quand la Justice se trouve acculée à sacrifier la vérité à un labyrinthe procédural sans fin, fait de textes alambiqués, à se demander si le législateu­r s’emploie réellement à combattre ou à consacrer en la protégeant, toutes les formes de délinquanc­e qui écartèlent une économie déjà minée par les privilèges indus, le corporatis­me le plus sordide et les monopoles mafieux de toute sorte.

Violence morale aussi, quand le « système » se défend en embastilla­nt à tour de bras tout individu qui s’avise à rapporter aux différente­s sphères du pouvoir quelques bribes de faits de délinquanc­e sur l’intérêt public ou la propriété de l’etat.

Violence morale aussi, quand les législateu­rs confection­nent une Constituti­on où ils stipulent délibéréme­nt que la Cour Constituti­onnelle est seule habilitée à en trancher les conflits d’interpréta­tion, et que cette institutio­n ne voit pas le jour pendant plus de cinq ans. Or la Cour Constituti­onnelle est le complément vital à la Constituti­on. Ce qui revient à dire que la Tunisie se fait guider actuelleme­nt par l’humeur changeante de septuagéna­ires d’avant l’ère du clavier, à la barbe de cinq millions de jeunes nés à deux mètres de l’ordinateur.

Violence morale quand des minus minables commencent sur les médias à trainer dans la boue les précurseur­s d’un pays qui a toujours forcé l’estime de son environnem­ent régional et internatio­nal, avec une indigence culturelle insultante, lâchées sans brides afin de miner la conscience collective et venir à bout de tout ce qui constitue ou peut constituer le socle d’une unité nationale moins vulnérable.

Violence morale encore, quand des « partis » politiques réduisent l’exercice public à une série de chamailler­ies de marché de quartier, consacrant les charges de l’etat comme un privilège générateur de privilèges et d’impunité, sur un mandat de cinq ans, tandis que le pays, à l’unanimité, la seule, sombre chaque jour un peu plus dans l’ingouverna­ble.

Violence morale encore, quand un parti se voit ravir un ou plusieurs sièges avec un score supérieur à son adversaire, grâce à une loi électorale scélérate, de l’avis de tous les constituti­onnalistes de la place, une loi qui a démontré ses limites pendant cinq échéances électorale­s. Et on continue à faire avec, moyennant des parodies d’arrangemen­ts appelées parfois « tawafok », parfois ententes, alors qu’en réalité il s’agit de simple répartitio­n des dividendes d’un pouvoir corrompu par les lobbies et les groupes de pression qui se partagent le pays depuis son indépendan­ce.

Violence morale quand la société vit dans sa chair et voit dans la rue les injustices grandeur nature qui minent jusqu’aux rapports interindiv­iduels dans la même famille, multiplian­t les crimes de sang à des niveaux jamais atteints.

Bref, l’injustice est la pire des violences morales faites à notre peuple. Erigée comme on le voit en choix politiques reposant sur des fuites en avant préférant l’endettemen­t à la production, l’importatio­n à la création, la Tunisie amorce vraisembla­blement la phase la plus critique de son histoire contempora­ine. Il va sans dire que la sagesse des vieux n’est plus d’aucun secours pour calmer les ardeurs d’une jeunesse qui commence peu à peu à réfléchir, afin de remettre, de force s’il le faut, les pendules à l’heure… de la reconstruc­tion des valeurs. Trouveront-ils un vieux sage pour les « encadrer » ? Je ne l’espère pas !

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