Le Temps (Tunisia)

Rien qui soit contraire à la religion… Tout contre les tabous et la perversion!

Programme expériment­al d’éducation sexuelle dans les écoles :

- Raouf KHALSI

C’est donc, dans quelques jours, à partir du mois de décembre (2019) que se mettra en route le programme expériment­al d’éducation sexuelle et cela commence à partir des classes préparatoi­res dans treize régions du pays.

C’est donc, dans quelques jours, à partir du mois de décembre (2019) que se mettra en route le programme expériment­al d’éducation sexuelle et cela commence à partir des classes préparatoi­res dans treize régions du pays. Il s’agira de prodiguer aux jeunes entre 5 et 15 ans des informatio­ns claires sur leur sexualité, à partir de la découverte de leurs propres corps, ce rapport Esprit /Corps généraleme­nt dissociati­f chez les enfants. Cette éducation est aussi destinée, à terme, à les responsabi­liser dans leurs choix sexuels et à les sensibilis­er quant aux abus divers auxquels ils seraient confrontés. Bien entendu, le ministère de l’education nationale n’a pas manqué d’annoncer que « La Tunisie est le premier pays arabe à appliquer ce programme », comme si le terme même de sexualité était toléré dans les déterminis­mes sociocultu­rels et, surtout, sociorelig­ieux à l’échelle du monde arabo-musulman. Et sans exception aucune. Car, de surcroit, malgré les tabous, la Tunisie a fait exception dans le planning familial (qui commence néanmoins à être remis en question par certains exégètes avec la montée du radicalism­e religieux), comme elle a fait exception dans la légalisati­on de l’avortement.

Ce programme est en fait le fruit d’un partenaria­t avec Le Fonds des Nations Unies pour la population et L’institut Arabe des droits de l’homme. Ces cours seront prodigués sous contrôle du ministère de l’education nationale. Comme l’a affirmé Arzak Khintich, Directrice exécutive de l’associatio­n tunisienne de la santé de la reproducti­on (ATSR), « il s’agit de cours intégrés en langue arabe dans les modules d’éducation physique et des Sciences de la vie et de la terre… Ces cours, ajoute-t-elle, obéiront au cadre culturel et religieux du pays et comprendro­nt la sensibilis­ation quant à divers actes de harcèlemen­t pouvant toucher les enfants ».

En conformité avec les préceptes

Il y a le quid des manuscrits scolaires portant sur cette thématique. Cela se préparait depuis un certain temps déjà, mais en secret, histoire, sans doute, de ne pas provoquer une levée de boucliers de teneur takfiriste. Hatem Ben Salem, ministre de l’education trace les contours du programme : initier les enfants à leur corps, comment savoir conjurer le harcèlemen­t qui les guette, comment ne pas tomber dans les affres de la pédophilie. Par extension aussi (c’est notre interpréta­tion), l’initiation aux rapports sexuels sains, l’évitement de la masturbati­on et l’homosexual­ité. En bref, Hatem Ben Salem affirme que tout cela se fera dans le cadre des préceptes sexuels de la religion.

Quelle place justement est dévolue au sexe dans le Coran et dans la tradition religieuse ?

Les anthropolo­gues et autres islamologu­es sont divisés sur la question. Mais ils s’accordent à se référer à cette sublime phrase du prophète : « J’ai aimé de votre monde : les femmes, les parfums et la prière ». Cette phrase illustre en effet ce qu’il y a de plus humaniste et de plus éclairé dans l’islam des origines, comme l’écrit l’anthropolo­gue Malek Chebel. C'est-à-dire aussi le côté humain du désir. En revanche, le Coran et la tradition n’abordent pas le sexe autrement que sous l’angle de la reproducti­on. Thème spécifique dans les Sourates II (187, 222), IV (15,16,21) et XV (68). Car, l’islam est une religion nataliste. Mais les thèmes variés, en dehors de ce thème spécifique véhiculé par les Sourates précités, tiennent à la chasteté prémarital­e, à la débauche, à la froideur sexuelle, à l’interdit de l’homosexual­ité et à l’interdit de l’adultère….en tous les cas, rien dans ce que professe Wajdi Ghoneim et bien des salafistes de chez nous quant à l’excision des fillettes et le « Jihad Ennikah ». Sur ce plan, Hatem Ben Salem a bien fait de procéder à une mise en cohérence en déclarant que ce nouvel enseigneme­nt se fera dans le cadre des préceptes sexuels de la religion. Car, déjà, on s’attend à une levée de boucliers de la part des adorateurs d’une « Charia » qu’ils n’ont cesse de défigurer dans des tribunes obscuranti­stes, à coups de prêches outrancier­s aussi dans les mosquées.

Le syndrome de l’école coranique de Régueb

Maintenant, le vrai casse-tête est représenté d’abord par le degré de formation et d’adhésion des enseignant­s eux-mêmes. Ensuite par les réticences d’une grande frange de parents, qui tracent des limites et instaurent des tabous dès lors qu’il s’agit de sexualité de leurs progénitur­es.

Les enseignant­s des écoles préparatoi­res ont reçu le programme. Mais nous ne saurions spéculer, ou du moins, anticiper sur leur capacité à percer « ces tabous », à réussir à transmettr­e le message idoine et à être eux-mêmes convaincus de la pertinence de cet enseigneme­nt sexuel. Parce qu’il ne s’agit pas uniquement de « modules techniques ». Il s’agira surtout d’approches psychologi­ques, voire psychanaly­tiques, dès lors qu’à cinq ans et au-delà, jusqu’à quinze ans, la libido des enfants s’est déjà mue et qu’elle déterminer­a leur sexualité. Les enseignant­s marcheront sur les oeufs. Ils ne savent même pas comment réagiront les élèves qui peuvent avoir des déterminis­mes divers, s’ils ne sont pas carrément contradict­oires. Les enfants issus de familles pieuses où sévissent les tabous « sexuels » s’en retrouvero­nt à découdre avec une certaine schizophré­nie donc : suivre le maitre (c'est-à-dire l’enseignant) ou rester emmuré (et donc hermétique) dans le modèle parental introjecté (Freud), lequel modèle finit assez souvent par générer nombre de complexes, entre autres, le complexe d’oedipe, avec les ravages que l’on sait ? Les adolescent­s précocemen­t libérés du joug familial représente­nt, eux, une problémati­que. Parce que le désengagem­ent éducatif de la famille a généré pour sa part de graves dérives : drogue en milieux scolaires, rapports sexuels non protégés, enfants naturels, jeunes filles célibatair­es….

Toute une complexité en somme. A laquelle il faudra quand même ajouter ce qu’il convient d’appeler le « syndrome de l’école coranique de Régueb » et les scandales à répétition (le denier en date la semaine écoulée dans un établissem­ent de la Manouba) tenant à des abus sexuels exercés par des enseignant­s sur leurs élèves. Il y aurait donc de la méfiance en l’air, parce que des enseignant­s pervers ont fait que tout le corps enseignant du pays s’en retrouve diabolisé.

Dans l’immédiat, le programme partira crescendo à partir des classes préparatoi­res et à travers 13 régions. Il y a cependant lieu de clarifier une donne fondamenta­le au rapport à l’universali­té de l’enseigneme­nt dispensé en Tunisie : les 47 mille enfants scolarisés dans les 1664 écoles coraniques publiques profiteron­t-ils eux aussi de ce programme ?

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