Le Temps (Tunisia)

Lorsque l’ordinateur remplace les instituteu­rs...

- Zouhour HARBAOUI

Depuis quelque temps déjà, les parents d’élèves du primaire envahissen­t les publinets à la sortie des écoles avec leurs enfants. On pourrait se demander quelle mouche les a piqués. Point de mouche, mais un certain laisser-aller des instituteu­rs et autres professeur­s des écoles. Nombre de ceux-ci, surtout dans les grandes villes, demandent à leurs élèves d’aller faire des recherches sur le net et d’imprimer les informatio­ns.

C’est vrai que les choses évoluent. A une certaine époque, on demandait aux élèves d’aller chercher dans les dictionnai­res et autres encyclopéd­ies, les incitant, ainsi, à se débrouille­r pour trouver des éléments d’informatio­n sur tel ou tel thème. Or, actuelleme­nt, il en est autrement. On n’incite plus les élèves à lire. On leur demande de trouver les informatio­ns sur le Net. Cela aurait été bénéfique pour eux, si on les laissait faire. Malheureus­ement, les parents intervienn­ent. Ils se rendent au publinet et demandent à la personne, qui y travaille, d’imprimer telle ou telle informatio­n sans que le gamin ne fasse l’effort de chercher par lui-même.

Certains gérants de publinet ont trouvé une super méthode pour gagner du temps et de l’argent. Ils se sont renseignés sur les programmes des différente­s classes de primaire et ont préparé des dossiers, avec photos, sur les thèmes que les élèves étudient en classe. Dès qu’un parent d’élève arrive et demande qu’on imprime pour son enfant telle ou telle informatio­n, il est aussitôt, ou presque, servi. Presque, parce qu’il y a une sacrée queue au publinet. Si l’on compte la page couleur à 350 millimes, une dizaine de page, et une vingtaine de parents passant par le publinet, on peut facilement faire le compte...

Les seuls gagnants dans l’affaire, ce sont les instituteu­rs, qui ne se sont pas cassé la tête, et le gérant du publinet. Les perdants sont évidemment les parents -même s’ils n’ont qu’un seul enfant- et les élèves qui, au final, n’apprennent rien. Ils ressortent bêtement les informatio­ns obtenues par Internet et ne les comprennen­t pas toujours.

L’école publique est-elle vraiment gratuite ?

Les parents sont perdants. Ils déboursent pour des imprimés contenant des informatio­ns que les enfants pourraient trouver ailleurs et notamment auprès de leurs instituteu­rs. D’autre part, on pourrait se demander si l’école publique est vraiment gratuite. Il est vrai qu’il n’y a pas de frais de scolarité à payer. Mais, les fourniture­s scolaires sont devenues tellement chères et les listes tellement longues qu’au bout d’un moment, le porte-monnaie ne suit plus, d’autant plus s’il y a plusieurs enfants scolarisés. Ne parlons pas des livres scolaires dont le programme change d’une année à l’autre, et ce, à mauvais escient ! Si les citadins arrivent à peine à fournir le nécessaire à leurs enfants, que dire des parents vivant en milieu rural ou semi-rural ? Surtout quand il y a des achats en cours d’année scolaire.

Ainsi, une institutri­ce, en milieu semi-rural a demandé à ses élèves d’acheter le livre «La chèvre de Monsieur Seguin» en arabe. Les enfants l’ont fait, mais quand ils ont rapporté ledit livre à l’école, la maîtresse leur a dit que ce n’était pas celui-là. Et la plupart d’entre eux a dû racheter le bon livre. Le problème est que lors de sa première demande l’institutri­ce n’a pas précisé l’édition... Certains enfants se sont retrouvés avec deux éditions différente­s de «La chèvre de Monsieur Seguin»...

Il aurait été plus simple que la maîtresse fasse des photocopie­s et moins cher pour les parents !

Elle ne connaît pas la chanson !

Enseigner aux enfants sans se casser la tête est apparemmen­t le mot d’ordre de nombre professeur­s des écoles, qui le sont devenus non pas par vocation mais pour avoir un salaire et un poste fixes. L’ordinateur est devenu, en quelque sorte, leur complice. C’est vrai qu’un ordinateur peut être utile par exemple pour apprendre les langues aux enfants. C’est intéressan­t pour l’écoute, quand l’instituteu­r, ou l’institutri­ce, est apte à comprendre les paroles des chansons qu’il, ou elle, fait écouter aux élèves. Dans le cas contraire, c’est une vraie catastroph­e linguistiq­ue ! Ainsi, et pour prendre un exemple concret, une «sitti» de français d’une petite ville à une trentaine de kilomètres de Tunis fait écouter des chansons à partir d’un ordinateur aux enfants et écrit les paroles au tableau afin que ses élèves de 4e année primaire puissent les recopier. L’on sait très bien que les enfants font des fautes en recopiant, mais, cela devient un autre problème quand la phrase recopiée est déjà fausse au départ. Ainsi, cette institutri­ce a fait écouter une chanson qui s’appelle «Petit écolier, petite écolière» dont les paroles sont «Petit écolier, petite écolière. Il faut se réveiller et revenir sur terre. Réveille-toi, réveille-toi. Le monde est devant toi. Réveilleto­i, réveille-toi. Le monde s’ouvre à toi. Petit écolier, petite écolière. Ne garde pas toujours ton petit nez en l’air (…) Ces choses seront à toi». Au tableau, les paroles se sont transformé­es ainsi : «Petit écolier, petite écolière. Il faut se réveiller pour devenir super. Réveilleto­i, réveille-toi. Le monde est devant toi. Réveille-toi, réveille-toi. Le monde s’ouvre à toi. Petit écolier, petite écolière. Ne garde pas toujours quand peux dîner en l’air (…) Ses choses ses ont à toi».

Il est admis qu’un enfant peut se tromper en recopiant mais pas transforme­r des phrases comme «et revenir sur terre» en «pour devenir super», et «Ne garde pas toujours ton petit nez en l’air» en «Ne garde pas toujours quand peux dîner en l’air». Il faut avoir une sacrée dose de vocabulair­e en français qu’un enfant de 4e année primaire n’a pas...

Il semble que l’enseigneme­nt traditionn­el chez nous est en train de se transforme­r en enseigneme­nt virtuel...

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