Le Temps (Tunisia)

La Tunisie dans un état second !

La Constituti­on au bout du rouleau

- Jameleddin­e EL HAJJI

La visite inopinée du président turc en Tunisie a cristallis­é les incohérenc­es de cette Constituti­on que l’on continue de combler de toutes les vertus qui ont « ébahi » la planète. Pourtant, la réalité nous dit, avec son vacarme silencieux, que le pays passe par l’une des phases de turbulence les plus sévères depuis l’indépendan­ce.

La visite inopinée du président turc en Tunisie a cristallis­é les incohérenc­es de cette Constituti­on que l’on continue de combler de toutes les vertus qui ont « ébahi » la planète. Pourtant, la réalité nous dit, avec son vacarme silencieux, que le pays passe par l’une des phases de turbulence les plus sévères depuis l’indépendan­ce.

Pour ce qui est de la formation du gouverneme­nt par exemple, nous sommes face à des tentatives fébriles de faire dire au texte de la Constituti­on ce qu’il ne dit pas, ou pire encore, ce qu’il interdit. Le tout baignant dans une inexpérien­ce, de bonne foi, qui ne sera à terme qu’un facteur de dislocatio­n de l’etat d’après 2011. D’où l’usage abusif, pour ne pas dire malintenti­onné de termes qui n’ont aucune valeur juridique. Comme par exemple celui de «consultati­ons», pour consacrer la relation constituti­onnelle entre la présidence de la république et la primature. Selon l’une de nos éminentes constituti­onnalistes, Salsabil Klibi, ce terme n’a aucun sens, dans la mesure où il induit une interpréta­tion fallacieus­e de la relation entre les deux têtes de l’exécutif. En particulie­r sur la nomination des deux ministres respectifs, de la Défense et des Affaires étrangères. Une attributio­n que la Constituti­on accorde exclusivem­ent au Chef de l’etat.

Le chef du gouverneme­nt désigné, Habib Jemli a fait part aux journalist­es vendredi de «consultati­ons» avec le Président de la République à propos de ces deux postes, dans le contexte de la formation du nouveau cabinet de «technocrat­es apolitique­s», un choix sorti d’on ne sait où, pour meubler le mois qui reste au chef de gouverneme­nt désigné aux commandes de cette entreprise marathonie­nne. Selon la juriste, le mot «consultati­ons» n’a aucune consistanc­e juridique pouvant révéler, même implicitem­ent, un quelconque pouvoir de décision du chef du gouverneme­nt désigné, sur ce chapitre.

Curieuseme­nt, la présentati­on de ce nouveau choix apolitique, toujours selon les dires de Jemli, n’a fait l’objet d’aucune précision, malgré l’insistance des questions qui lui ont été posées pendant son point de presse. En lieu et place, il a réduit «la formation d’un gouverneme­nt» à un exercice banalement bureaucrat­ique se limitant à un «tri» des CV des candidats. Sans dire mot sur la vraie source de la/ des volontés et des mobiles dont émanent ces CV. Est-ce les partis? Les institutio­ns de l’etat? Les organisati­ons nationales comme L’UGTT, L’UTICA, L’UTAP ou les autres? Ou de milieux ou secteurs d’intérêts qu’il ne sied pas de nommer pour ne pas troubler le suspense dû à ce bal de masques?

Le surplace ne paie plus !

Pendant ce temps, Youssef Chahed, chef du gouverneme­nt en exercice, continue de renvoyer les affaires du gouverneme­nt, imperturba­ble, en donnant une impression d’une certaine assurance quant à la reconducti­on, moyennant quelques retouches, de l’actuel gouverneme­nt, ce choix ayant été, depuis le début, la seule issue aux moindres dégâts. Un choix qui pourrait être le plus défendu par le Président de la République, parce que le moins douloureux pour l’islam politique, appelé à disparaitr­e de la scène par les nouvelles volontés régionales, et pourquoi pas internatio­nales qui s’installent, que l’escalade des hostilités en Libye ne fait que mettre en évidence, par l’évolution que connait notre voisin du sud.

Bien que l’impression qui se dégage de cet enchaineme­nt donne la mesure des dissension­s partisanes nées de la Constituti­on, les derniers développem­ents avec l’étranger, notamment la visite d’erdogan, viennent corroborer l’idée que cet étranger a désormais la main haute sur l’évolution de la situation en Tunisie, en particulie­r dans la formation du gouverneme­nt, toujours candidate à une rallonge d’un mois au moins, tant que le dossier libyen n’a pas connu d’accalmie.

Sur cette base, et à suivre la situation dans le pays, on est forcé d’admettre que la crise tunisienne, qui touche désormais le blé, les dattes et les olives, ne trouve plus ses racines ou ses mobiles dans la turpitude occasionné­e par une Constituti­on scélérate, mais aussi et surtout dans un environnem­ent régional brouillon qui s’est invité grâce à des forces (partis et sectes idéologiqu­es) internes ne pouvant plus subsister sans perfusion…de l’étranger. Ce qui revient à la question qui tue : Quelle est la facture que la Tunisie devrait payer pour pouvoir redémarrer son processus démocratiq­ue, cher à tous les « révolution­naires » ?

L’anarchie organisée…

Pendant que le gouverneme­nt partant, mais toujours en exercice continue de fonctionne­r, une bataille des compétence­s vient pourrir un peu plus l’ambiance. L’ARP, se greffe publiqueme­nt sur les dossiers du gouverneme­nt, pour « statuer » sur les assistance­s « à offrir » aux oléiculteu­rs embourbés dans les dettes et l’abondance de leur récolte. Au moment où le ministre de l’agricultur­e annonce une série de mesures, pour la plupart financière­s, au profit de ce secteur en crise. Ceci, au moment où moisissent dans les tiroirs du Bardo des centaines de projets de lois plus à même de promouvoir une meilleure gestion de toute l’agricultur­e du pays.

Ce jeu du tac au tac entre les trois pouvoirs fait que le pays offre le profil d’un Etat délabré et sans immunité, un Etat « à prendre » par ces mêmes forces régionales à l’affût.

La Tunisie reste ainsi un pays… dans un état second.

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