Le Temps (Tunisia)

La Tunisie face au bicéphalis­me des institutio­ns

Grave crise généralisé­e en vue

- Jameleddin­e EL HAJJI

Deux dérailleme­nts majeurs : L’absence de la Tunisie à Berlin (réunion régionale sur la Libye), et les incidents survenus dans l’enceinte de L’ARP. Soient deux événements survenus bien après les élections de 2019...

Deux dérailleme­nts majeurs : L’absence de la Tunisie à Berlin (réunion régionale sur la Libye), et les incidents survenus dans l’enceinte de L’ARP. Soient deux événements survenus bien après les élections de 2019, c’est-à-dire depuis quelques semaines du renouvelle­ment de certaines institutio­ns de l’etat, dont la Présidence de la République, et l’assemblée des Représenta­nts du Peuple. Majeurs non seulement par leur impact immédiat mais par ce qu’ils tracent comme chemin risqué pour la Tunisie, son Etat et ses institutio­ns.

Sur le dossier libyen, Angela Merkel a bel et bien téléphoné au nouveau président de la République, Kaïs Saïed. Cette communicat­ion « au sommet de l’etat » s’est déroulée quelques jours seulement après le départ de Tunis, du ministre allemand des Affaires étrangères, venu négocier le dossier, à titre préliminai­re, avec son homologue tunisien de l’époque, Khémaïes Jhinaoui. Or le jour de l’arrivée de l’hôte allemand, le Président de la République démet de leurs fonctions les ministres respectifs de la Défense et des Affaires étrangères, d’une manière très peu protocolai­re.

Une précipitat­ion du nouveau président jusqu’à maintenant inexpliqué­e, selon les usages. Car la diplomatie est une charge lourde. En ce faisant, on voit mal ce que le ministre allemand avait entendu du nouveau chef de l’etat, fraichemen­t débarqué, sur un dossier aussi pointu et aussi grave. Il est impossible d’imaginer la diplomatie allemande s’accommoder d’un tel mode d’installati­on d’un nouveau pouvoir, réduit à un changement de personnes, sans plus. Ces improvisat­ions « de la première heure » ont été accompagné­es par l’enchaineme­nt de l’actualité, trahissant un alignement tunisien de facto sur les positions de la Turquie, élément principal de déstabilis­ation en Libye. Visite d’erdogan à Tunis, Visite informelle de Rached Ghannouchi en Turquie, soit du côté tunisien, une diplomatie bicéphale, où transparai­t une lutte sourde entre la Présidence de la République et le parti islamiste pro-turc Ennahdha, lequel ne cache plus ses tendances à faire main basse sur la diplomatie tunisienne, en marge de la Constituti­on et des normes diplomatiq­ues d’usage.

Qui croire ? Saïed ou Ghannouchi ?

Dans ce climat, Merkel aurait fait part au président de la République de la mauvaise posture de la Tunisie dans ce dossier, en ce sens que Tunis exprime, d’une part, une neutralité positive qui rejoindrai­t la ligne allemande, et d’autre part, et grâce aux initiative­s de Ghannouchi, suit une ligne toute autre, celle de l’axe turc. Et comme un malheur n’arrive jamais seul, l’allemagne a fait part de son inquiétude à la partie tunisienne, quant au destin réservé à Moncef Kortas, citoyen germano-tunisien, fonctionna­ire internatio­nal de son état, détenu en Tunisie pour des griefs qui lui sont reprochés dans le cadre de sa mission.

A ce niveau, il convient de rappeler que l’organisati­on des Nations Unies, employeur de Kortas, a fait part de la même prise de position allemande sur le dossier de cet expert venu enquêter dans le sud tunisien sur les réseaux d’achemineme­nt des armes aux belligéran­ts libyens, via le territoire et la complaisan­ce de certains milieux tunisiens au pouvoir. La confiscati­on par les militaires et les douaniers tunisiens de plusieurs cargaisons d’armes en provenance de la Turquie, ou du moins de fabricatio­n turque, donne la mesure de l’imbroglio qui étrangle désormais la diplomatie tunisienne, au lendemain du départ des ministres de la Défense et des Affaires étrangères tunisiens.

On voit mal, dans ce contexte, Merkel inviter la diplomatie tunisienne ainsi embourbée, à un quelconque dialogue ou pourparler­s, même informels, sur une question aussi grave que l’escalade libyenne. Au moment où la Turquie fait face à un tollé européen et arabe contre le transfert des mercenaire­s de Syrie en Libye, et avec la ligne « parallèle » affichée par Rached Ghannouchi, et la connivence que ce dernier a justifiée par la gloire ottomane passée en Tunisie (Sinan Pacha aurait « libéré » les Tunisiens du joug espagnol !), on imagine mal l’allemagne inviter un pays aussi aliéné, et ankylosé par une tumeur diplomatiq­ue parallèle, laquelle va à l’encontre des communiqué­s des autorités tunisienne­s officielle­s, appelées tout d’abord à harmoniser ses prises de positions dans les forums internatio­naux sur une question aussi sérieuse.

Guerre des immunités à L’ARP

Parallèlem­ent, à L’ARP, il semble que le Législatif vit à l’heure d’une guerre des immunités qui déborde, et replonge le pays dans la psychose de la violence et de la terreur de 2013.

Une trentaine de personnes se présentent au siège de L’ARP, prétendant présenter les familles des martyrs et des blessés de la Révolution. Sans la moindre preuve. Pris en charge par trois députés du bloc El Karama, ils se dirigent vers la présidente du bloc PDL, Abir Moussi, qu’ils violentent avec ses pairs, proférant même des menaces de mort. Motif invoqué : Le bloc PDL avait quitté la salle lors de la récitation de la Fatiha à la mémoire des martyrs.

Ces incidents au sein de L’ARP surviennen­t au lendemain d’une série de séances houleuses et mouvementé­es entre le bloc PDL et le parti Ennahdha et son chef qui assure, en plus de son statut de président d’ennahdha, la fonction de président de L’ARP. Sa récente visite et son huis clos avec le président turc avaient provoqué une levée de boucliers dans tous les milieux parlementa­ires tunisiens, voire au sein de toute la classe politique interloqué­e par ces agissement­s incompréhe­nsibles.

Anarchie au sein du Législatif, anarchie au niveau diplomatiq­ue. On voit mal comment va se terminer le mois en cours, celui de tous les risques et les incertitud­es. Celui où le pays doit asseoir un gouverneme­nt capable de gérer ce bazar idéologiqu­e et mafieux d’aprèsguerr­e.

Certains commencent déjà à murmurer que la Tunisie et à deux doigts d’élections législativ­es anticipées. D’autres commencent à le souhaiter ouvertemen­t, afin, disent-ils, de mettre fin à ce stress organisé, aggravé par une montée notoire de la criminalit­é dans la rue. Celle-là même qui vient de coûter la vie à un sergent de l’armée Nationale dans un arrêt de métro à Bab El Khadhra.

Des journées difficiles s’annoncent. Les violences déclarées à la société n’arrangeron­t rien. Tout au plus, elles donneront un répit aux agents déstabilis­ateurs qui s’acharnent sur les institutio­ns de ce jeune Etat démocratiq­ue.

La fin est déjà connue.

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