Le vote de cette ARP est-il crédible ?
Passage du gouvernement Fakhfakh
Le gouvernement Fakhfakh a fini par passer. Avec une majorité moyennement confortable, et une opposition qui ne l’est pas du tout. Son passage, en revanche, ressemble fort à une réplique inversée de la fameuse séance plénière, où Habib Essid fut comblé de toutes les vertus, pendant plus de douze heures… avant d’être vulgairement révoqué, par les mêmes laudateurs. Reste que pour la « session Fakhfakh », les choses étaient un peu différentes. On en aura vu des vertes et des pas mûres. La plénière était toutefois une image, la plus fidèle qu’elle puisse être, d’une assemblée ramassée non pas dans la véritable élite ou classe politique tunisienne, mais dans les bas-fonds des quartiers les plus sensibles de la « ceinture » de pauvreté et de misère qui entoure les grandes villes.
C’est ainsi que les discours se sont enchainés et déchainés, pour nous offrir l’image d’un paysage politique plus que jamais infect. Nous n’allons pas nous attarder sur la qualité des verbes utilisés dans cette croisade démocratique enragée, à la tunisienne. Quelques remarques suffisent à atténuer la crédibilité de toute tendance à l’optimisme.
La présente ARP, celle que préside l’octogénaire Rached Ghannouchi flanqué d’une dizaine de membres de sa tribu, présente le niveau politique et culturel le plus bas depuis l’indépendance du pays en 1956. Jamais le « pouvoir » législatif n’a « fédéré » autant de médiocrités sous l’hémicycle. Florilège de cette élite télévisée ? « Les binationaux sont des bâtards qui doivent immédiatement quitter ce lieu » (dixit Safi Saïd). « Kaïs Saïed (chef de l’etat), doit garder ses limites » (dixit Seifeddine Makhlouf). Soient deux députés se prévalant d’une culture politique que nous ne connaissions pas.
Il y avait mieux. Un certain Mohamed Affès, sombre élu de Sfax, a gratifié l’auditoire d’un morceau de démence ayant réduit son entourage direct dans la salle, à un troupeau de mécréants, y compris le chef du gouvernement, à qui il a donné sa voix, en fin de séance, question de garder les formes…
Or un panoramique ne fait ressortir aucun signe de force dans ce ramassis de vulgarités éparpillées comme jamais, au gré des forces qui se jouent, à travers eux, du présent et de l’avenir de ce peuple sans voix. A ce titre, on ne peut plus se permettre d’épeler ARP comme Assemblée des Représentants du peuple, mais de la petite populace, la plèbe, cette masse d’instincts sans retenue, qui se propose d’ébranler les règles de la logique et de la science, par les chimères de recruteurs argentés.
Un vote qui pose problème
Il est vrai que la Constitution accorde à L’ARP l’attribution de légitimer l’équipe gouvernementale. Entendez la Constitution de 2014, celle-là même qui nous a dérivé la loi électorale ayant favorisé l’émergence de cette nouvelle élite du sous-développement, de la violence et de l’obscurantisme le plus abject. Mais que vaut une légitimité donnée par Safi Saïd, Seifeddine Makhlouf et Mohamed Affès, auteurs des perles que nous venons de reproduire ? Est-elle réellement un gage de confiance ? Ou bien un motif d’inquiétude pour le devenir de tout le processus démocratique engagé au prix de la liste des martyrs que l’on se dispute jusqu’à maintenant, sans pouvoir la fixer définitivement ? La Constitution de 2014 aura-t-elle le mérite d’avoir chambardé les paramètres nés des soulèvements de 2011 ? Pour dire franchement, cette Constitution aura-t-elle réussi à consacrer le règne du pouvoir des voyous sur les potentialités d’un pays pas si pauvre que ça ?
Le vote même de ce gouvernement Fakhfakh était-il aussi authentique ?
Si le chef du gouvernement s’attelle à des thèmes plus ou moins pointus, comme les finances, l’économie, la répartition équitable des richesses, l’égalité des chances entre les régions, et les batailles des chiffres qui en découlent, qui, parmi ce beau monde perché au Bardo va le « soutenir » à bon escient, car il ne s’agira plus de vote ponctuel, mais de « suivi » scientifique de l’action gouvernementale. Sur les 217 membres de L’ARP, combien sont-ils en mesure de commenter un projet du gouvernement portant sur la reprise des négociations de L’ALECA par exemple ? Les trois cités en sus, ou bien les « moudjahidines » arabes de Monsieur Maghzaoui, qui n’ont pratiquement aucune idée sur l’état actuel de la coopération interarabe, ni sur l’état d’avancement de la normalisation de leurs bailleurs de fonds avec Israël, l’ennemi public et la vierge effarouchée quand il s’agit d’exécuter les consignes de leurs employeurs de l’ombre, ces forces de l’obscurantisme populiste qui remonte à la guerre froide.
Une ARP en dehors du temps
C’est cette ambiance un brin surréaliste qui suscite l’angoisse. Sans préjudice à la valeur des options affichées par le chef du gouvernement sous l’hémicycle, le doute se fait pesant quant à la qualité du vote qui a légitimé le gouvernement. Il était clair, comme l’eau de roche, que les députés ont voté non pas afin de raffermir Fakhfakh et son gouvernement dans la voie des réformes, mais tout simplement pour éviter la dissolution de leur maudite assemblée. Car il est désormais de notoriété publique que la Tunisie est actuellement paralysée par un parlement d’incultes, avides plus pour leurs privilèges criminels que pour l’amélioration des perspectives de cette expérience démocratique qui risque, à terme, d’instaurer le mérite et la compétence à la place de l’allégeance à des groupes idéologiques que l’histoire ne cesse de biffer au menu détail.
Sur cette base, le gouvernement et le président de la République seraient bien avisés de bien gérer cet épisode de l’après-vote, en faisant valoir plus de fermeté dans la conduite de ce bras de fer entre l’exécutif et le Judiciaire d’une part, et le Législatif délinquant d’autre part.
Même l’actuelle Constitution permet toujours au chef de l’etat de faire valoir sa compétence de dissolution de L’ARP, à la moindre incartade, puisqu’il devient de plus en plus évident que le vrai garant de la souveraineté de l’etat, en l’état actuel, n’est autre que l’exécutif et le Judiciaire, le Législatif en ayant failli, en détruisant, sur le terrain, 60 ans d’oeuvre de développement, en l’espace de deux quinquennats. L’ARP actuelle est moins patriote qu’un conseil de tributs sous d’autres cieux. Face à cette situation, force est de constituer sans tarder, un Conseil National de Salut, où siègeront, outre les trois pouvoirs, les principales organisations nationales historiques… et le Conseil National de Sécurité. L’ARP à elle seule est désormais incompétente, voire nuisible au processus de changement qui a motivé les élections depuis 2011.
En ce disant, nous n’avons pas fait mention des réactions de notre entourage géopolitique à ce jeu de conspirations dans lequel notre pays a été empêtré. Actuellement, le temps joue contre la Tunisie. Aux Tunisiens de s’en occuper, avant de le regretter un jour.