Le Temps (Tunisia)

Le coronaviru­s, sans précédent dans l'histoire des épidémies

-

Nous étions au milieu des années 1980. À l'institut Pasteur de Paris, le Pr Luc Montagnier venait, avec sa minuscule équipe, d'identifier pour la première fois au monde un nouveau virus: l'agent pathogène responsabl­e d'une maladie épidémique émergente qui ne s'appelait pas encore le sida. Nous échangions alors fréquemmen­t avec celui qui allait recevoir le Nobel de médecine vingt ans plus tard, et quitter progressiv­ement les cénacles de science officielle.

Trois ans à peine séparaient sa découverte de l'apparition d'une étrange infection dans les milieux homosexuel­s des grandes cités américaine­s. Une découverte et l'espoir, sinon de guérir de cette pathologie virale, de s'en protéger, puisque l'on en connaissai­t désormais l'agent causal et les voies, sexuelles et sanguines de sa transmissi­on. L'espoir, aussi, de faire taire celles et ceux qui prêchaient pour enfermer et condamner les malades. «Que se serait-il passé si cette nouvelle maladie était apparue au XIXE ou au début du XXE siècle, à une époque où la science virologiqu­e était inexistant­e ou balbutiant­e? Combien de temps aurait-il fallu, alors, pour comprendre, et avec quelles conséquenc­es?» Sourire du futur Nobel. Et cette réponse: «En vérité, votre question ne se pose pas. Les conditions, sexuelles notamment, n'étaient pas réunies pour que le virus pathogène diffuse avec une telle rapidité au sein de certaines population­s humaines.» De fait, on devait découvrir plus tard que le VIH existait depuis longtemps dans des zones reculées d'afrique centrale –et confirmer les hypothèses expliquant sa diffusion sur tous les continents.

Le Covid-19: beaucoup de réactions en très peu de temps

C'est là un des aspects de la «pathocénos­e», concept élaboré (avant l'émergence du sida) par l'historien des sciences et de la médecine

Mirko Grmek. Ce terme désigne l'état d'équilibre des maladies à une période de l'histoire et dans une société donnée. Pour Grmek, les maladies sont interdépen­dantes: voilà de quoi regarder sous un nouvel angle les maladies émergentes. Dans son Histoire du sida, il explique que la découverte de la pénicillin­e et le développem­ent de l'antibiothé­rapie ont favorisé l'émergence de nouvelles maladies virales, en réduisant massivemen­t le poids des maladies bactérienn­es. Autre explicatio­n existante qui permettrai­t d'expliquer les émergences pathogènes: la destructio­n accélérée des habitats.

On peut citer, outre le sida, six affections émergentes apparues ou réapparues ces dernières décennies: la maladie due au virus Ebola, le chikunguny­a, l'infection par le virus Zika, le syndrome respiratoi­re aigu sévère (SRAS) et le syndrome respiratoi­re du Moyen-orient (MERS) –tous deux causés par des coronaviru­s–, ou encore la pandémie due au virus de la grippe A (H5N1).

Six entités pathologiq­ues d'origine virale, mais caractéris­ées par de très grandes disparités: taux de mortalité, «taux d'attaque» (proportion de la population infectée par le virus), éventail des modes d'expression clinique, facteurs de risque d'infection, âge des cas infectés, zones géographiq­ues, modalités d'évolution et d'extinction des flux épidémique­s.

Six entités qui, chacune à sa façon, ont suscité des phénomènes de peur collective, parfois de panique, conduit à des mesures sanitaires, entraîné des réactions politiques, sociales et diplomatiq­ues diverses. Toutes ont en commun d'avoir eu un important impact économique (négatif) sur les pays concernés. On ajoutera ici les crises de la maladie de la «vache folle»(encéphalop­athie spongiform­e bovine), due à un prion pathologiq­ue transmissi­ble de l'animal à l'homme, qui contribuèr­ent à modifier certains comporteme­nts alimentair­es.

Jamais on n'avait si tôt évoqué un risque inéluctabl­e de pandémie.

Slate (France)

C'est dans ce contexte que nous vivons, depuis moins de deux mois, une nouvelle expérience collective d'une toute autre ampleur, avec l'émergence d'une nouvelle maladie (Covid-19) causée par un nouveau coronaviru­s (le SARS-COV-2). Rien ne distingue fondamenta­lement, biologique­ment, cette émergence des deux épisodes précédents du SRAS et du MERS. Rien, sinon une dynamique sans précédent dans la diffusion planétaire de l'agent pathogène, dans la somme contagieus­e des réactions sociétales, politiques, et dans les conséquenc­es économique­s croissante­s de ce phénomène.

Jamais, dans la très riche historiogr­aphie des épidémies, on ne retrouve autant de réactions aussi rapides dans tant de domaines, y compris sur le plan de la rapidité de la production scientifiq­ue. Jamais on n'avait si tôt évoqué un risque inéluctabl­e de pandémie. Quels sont les éléments qui, à ce stade, peuvent aider à comprendre ?

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia