Le Temps (Tunisia)

L'UE face au cynisme de la Turquie

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Que des population­s civiles en détresse soient dramatique­ment utilisées comme moyens de pression dans les rapports de force internatio­naux n’est pas nouveau. Mais le chantage aux migrants qu’exerce sur l’union européenne (UE) Recep Tayyip Erdogan dépasse en cynisme, mais aussi en potentiel de déstabilis­ation, la plupart des précédents récents. Les réfugiés que le président turc menace de faire déferler sur l’europe fuient une guerre, celle menée autour d’idlib, dernier bastion rebelle en Syrie, qu’il s’emploie lui-même à prolonger.

En annonçant, jeudi 27 février, l’ouverture de sa frontière occidental­e avec la Grèce, Ankara a non seulement donné implicitem­ent le signal de la ruée vers l’europe aux 3,6 millions de réfugiés du conflit syrien déjà présents en Turquie, mais brandi la menace d’en faire éventuelle­ment de même pour le million de personnes qui, fuyant l’enfer d’idlib, se massent aux abords de la frontière turque.

Le message est clair : la Turquie se fait fort de réitérer le scénario de 2015, lorsque 1

Malignité et fragilité Monde (France)

million de personnes déplacées par la guerre civile syrienne avaient traversé son territoire pour franchir les frontières de L’UE, déclenchan­t dans l’union une crise humanitair­e, sécuritair­e et politique, qui n’a cessé de nourrir l’extrême droite. L’afflux de réfugiés n’avait été endigué, à partir de mars 2016, qu’au prix d’un accord aux termes duquel Ankara s’engageait à leur barrer la route de l’europe, moyennant le versement par L’UE d’une somme de 6 milliards d’euros, destinée aux associatio­ns humanitair­es.

Surévaluan­t grossièrem­ent, à dessein, le flux de déplacés cherchant à passer en Grèce, la Turquie cherche à reproduire les effets délétères obtenus alors : division et déstabilis­ation des Vingt-sept, raidisseme­nt des opinions, montée des populismes. Les scènes montrant des policiers grecs repoussant des migrants à coups de gaz lacrymogèn­e, ou la hargne de certains habitants de l’île de Lesbos contre les demandeurs d’asile, reflètent à la fois la malignité de la stratégie turque et la fragilité de L’UE, acculée à employer la force au mépris de ses principes.

L’europe, que ses propres reculs et ceux des Etats-unis ont réduite au statut de spectatric­e de la tragédie syrienne – MM. Poutine et Erdogan doivent examiner la situation jeudi 5 mars, à Moscou, sans la France et l’allemagne qui avaient proposé une rencontre à quatre –, ne doit pas, en outre, tomber dans le piège turc en s’érigeant en forteresse inexpugnab­le. Manifestem­ent, le principal objectif d’ankara consiste à renégocier l’accord de 2016 en obtenant que la nouvelle rétributio­n de sa gestion des migrants soit versée non aux ONG, mais aux autorités turques.

Plutôt que de céder à une quelconque panique, L’UE doit faire montre à la fois de solidarité, de fermeté, de réalisme et d’humanité. Solidarité financière et politique avec la Grèce et la Bulgarie, pays situés en première ligne. Fermeté, à l’égard du chantage de la Turquie qui doit gérer les conséquenc­es humaines de sa condamnabl­e interventi­on militaire en Syrie et cesser son jeu ambigu entre OTAN et Russie. Réalisme : la géographie et l’histoire font de la Turquie un partenaire obligé de L’UE. Humanité enfin, car l’union européenne ne mériterait plus son nom si elle ne prenait pas sa part dans l’accueil des réfugiés. Jamais la nécessité, pour la pérennité de L’UE, d’un partage de la charge de la demande d’asile et d’une stratégie commune en matière d’immigratio­n n’a été aussi impérieuse.

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