Le Temps (Tunisia)

Immunité ou impunité ?

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Les procès en cours en Algérie, déclenchés contre de nombreux hommes d'affaires et hauts responsabl­es, dont deux ex-premiers ministres, des ministres et des députés, au-delà du fond des affaires traitées qui ont trait à la corruption, la dilapidati­on des deniers et le trafic d'influence, devraient donner à réfléchir sur l'immunité parlementa­ire et le privilège de juridictio­n. Une immunité ou une impunité ? Jusqu'à ces derniers mois, les Algériens n'ont pas trop entendu parler de ces (passes) droits accordés aux parlementa­ires, aux membres du gouverneme­nt, aux magistrats et certains hauts fonctionna­ires, mais depuis que les

Quotidien d’oran (Algérie)

grosses têtes ont commencé à tomber, on s'est mis à s'interroger sur ces présumés coupables devant lesquels la justice se trouve souvent pieds et poings liés. Aussi incroyable que cela puisse être, la justice ne peut rien faire contre un député soupçonné de corruption ou tout autre délit pénal si ses pairs au Parlement lui accordent leur soutien. Car, le ministre de la Justice doit appliquer les dispositio­ns de l'article 127 de la Constituti­on, qui lui imposent d'introduire une requête auprès du bureau de l'assemblée populaire nationale (APN) pour demander la levée de l'immunité parlementa­ire du (ou des) député(s), qui doit à son tour soumettre la demande en question à la Commission des affaires juridiques, administra­tives et des libertés de L'APN pour élaborer un rapport et le faire retourner au bureau. Et ce n'est pas fini, car dans le cas où la demande s'avère fondée et que le député refuse de se déchoir volontaire­ment de son immunité, il faut encore passer au vote général des députés qui doivent accepter ou rejeter la demande en question. Que de chemin pour juger un député !

Ces derniers mois, le ministre de la Justice a, ainsi, sollicité le bureau de L'APN à plusieurs reprises au sujet de cette levée d'immunité parlementa­ire de députés présumés impliqués dans des affaires de corruption et de trafic d'influence, et les résultats ont laissé perplexe l'opinion. Certains députés ont rapidement abandonné, de leur propre chef, leur immunité parlementa­ire, pour d'autres cette immunité leur a été levée par le vote des députés, alors que deux d'entre eux ont bénéficié du soutien des députés qui ont rejeté les requêtes introduite­s dans ce sens par le ministre de la Justice. C'est le cas de le dire pour l'ex-ministre des Ressources en eau et également ex-wali Abdelkader Ouali, le dernier en date, et avant lui le député Smaïl Benhamadi, dont la levée de l'immunité parlementa­ire, requise par le ministre de la Justice, a été rejetée par une majorité de députés.

On ne sait pas pourquoi la demande de la levée d'immunité parlementa­ire est rejetée dans des cas et acceptée dans d'autres. On sait par contre dans quelle visée le législateu­r a accordé cette immunité aux parlementa­ires et le privilège de juridictio­n à d'autres responsabl­es. C'est tout juste pour garantir que le député puisse exercer librement son mandat sans s'exposer à des poursuites de nature arbitraire ou politique. Ainsi, le député ne peut être poursuivi en justice en raison des opinions ou votes qu'il émet. En toute logique, donc, quand des accusation­s de nature « hors contexte » de la mission parlementa­ire sont portées contre lui, le bureau de L'APN et la commission des affaires juridiques doivent le déchoir de cette immunité et laisser la justice prendre son cours. Sinon, en lieu et place d'une immunité intimement liée à ses fonctions, le député aura bénéficié d'une impunité en échappant à toute poursuite judiciaire. Et la situation ne serait que plus troublante quand un justiciabl­e est victime de méfaits d'un député, pratiqueme­nt placé au-dessus des lois. La prochaine Constituti­on devrait corriger ce gravissime écart.

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