Le Temps (Tunisia)

Pressante demande d’etat, de l’etat-providence !

L’exécutif face à son destin

- Raouf KHALSI

Face à la pandémie, partout dans le monde, que l’on soit en régime présidenti­el, parlementa­ire ou, simplement, dictatoria­l, les chefs de l’exécutif montent en première ligne. On a vu Macron répéter le : « j’ai décidé » à l’envi et sur un ton martial, tout en appelant au sens des solidarité­s. On l’a bien vu encore décider que l’etat prendra tout en charge. Quand il parle de solidarité­s, ce n’est pas pour récolter des dons. Mais pour l’entraide entre citoyens. Madame Merkel, pourtant en régime parlementa­ire, s’est arrogé, elle aussi, des pouvoirs étendus et qui ne recourent pas à l’aval du Parlement. Partout, en fait, c’est la résurgence de l’etat-providence !

Qui, dans le contexte de notre régime hybride, doit assumer son destin : celui d’un chef de guerre ? Qui pourrait faire émerger le sens de l’etat ? Aujourd’hui, il s’agit de soigner, de prévenir, de protéger et de sensibilis­er. Or, l’éparpillem­ent des pouvoirs, ce fauteuil pour trois consentira­ient-ils à cette réémergenc­e ?

Vivra-t-on d’amour et d’eau fraiche ?

On attendait beaucoup plus que des envolées lyriques du discours du Président. Comme déjà exposé par notre journal, l’état d’urgence constitue un cadre juridique suffisant pour décréter ce très controvers­é couvrefeu. Du moins, il éloigne momentaném­ent le recours à l’article 80 de la constituti­on, inhérent au « péril imminent », article lui conférant tous les pouvoirs en situation d’exception, y compris celui de suspendre la vie politique tout entière, c’est-à-dire aussi, mettre L’ARP en quarantain­e. S’il le faisait, il serait coupable de « parjure », lui qui fait un point d’honneur à préserver les institutio­ns démocratiq­ues. Quelque part aussi, il est un peu dans une espèce de « schizophré­nie » : il n’aime pas ce régime. Il n’aime pas le centralism­e étatique. Il n’aime pas, non plus, le centralism­e parlementa­ire. Or, il s’y fond. Du reste, quand il appelle les Tunisiens à faire don de la moitié de leurs salaires, lui en premier, il calque, sans s’en rendre compte la technique du régime déchu : une solidarité insufflée (et dictée) par l’etat. Avant, c’était le 26-26, aujourd’hui, c’est le 18.18 pour la bonne cause. Les Tunisiens s’y sont mis : ils ont répondu à l’appel et Abdellatif El Makki, ministre de la Santé publique, n’a pas manqué de louer ce sursaut de solidarité.

Tout cela, c’est bon, et dans une certaine mesure, réconforta­nt.

Ce sont, cependant, les tergiversa­tions du Président qui laissent pantois. Les voeux pieux tenant à une accélérati­on dans le vote des lois par le Parlement. Les espoirs que les bailleurs de fonds internatio­naux rééchelonn­ent nos dettes. L’invocation du ciel pour la préservati­on des emplois…tout cela est, en définitive, en deçà des attentes des Tunisiens. Et, puis, bien sûr, ce couvre-feu, demi-mesure qui ne résout rien et, particuliè­rement au niveau des transports. Plutôt, c’est l’effet contraire qui se produit. Au final, c’est comme si le Président nous proposait de vivre d’amour et d’eau fraiche.

Sournoiser­ies parlementa­ristes

En fait, le moment est très mal choisi pour que, tels les félins, les trois pouvoirs tracent leurs territoire­s respectifs.

Au moment où, Elyès Fakhfakh, véritable Chef de l’exécutif, essaie de prendre la dimension de la pandémie, le statut Facebook de Tarek Fettiti, deuxième vice-président de L’ARP, est tout simplement scandalisa­nt. Fettiti, pourtant connu pour son sens de la mesure, a choisi ce moment précis pour démentir Fakhfakh : il affirme que, contrairem­ent à ce qu’il dit, le Chef du gouverneme­nt n’a pas consulté le Président de L’ARP. On voit mal, et ce n’est pas pour le défendre, Fakhfakh mentir au peuple.

La vérité est tout autre : c’est la sempiterne­lle querelle des égos. On sait, et on l’a, à maintes fois, mentionné que, depuis les dernières élections, Kaïs Saïed et Rached Ghannouchi se livrent à « une guerre de légitimité­s ». Et cette guerre décline, maintenant, en affronteme­nt frontal entre Ghannouchi et Fakhfakh, dès lors que le Président de L’ARP considère que le Chef du gouverneme­nt est l’extension du bras du Président. A chacun sa lecture constituti­onnelle de la nature du régime dans lequel nous sommes. Or, la lecture de Ghannouchi est extensive. Elle déroge aux principes mêmes du parlementa­risme. Le Parlement, c’est universell­ement pratiqué, légifère, contrôle l’exécutif. Le Président a qualité pour proposer des projets de lois. Mais les leviers de commande et de la gouvernanc­e sont aux mains du Chef du gouverneme­nt. Aucun texte ne le soumet à la contrainte de devoir, à la minute près, demander son avis au Président du Parlement sur les questions organiques, inhérentes à la marche du gouverneme­nt.

Déjà, le gouverneme­nt s’est vu refuser le vote sur la ZLECA (la zone de libre-échange à l’échelle continenta­le) qui est, pourtant aussi, l’avenir de la Tunisie. Faute de quorum, a-t-on rétorqué du côté du Bardo. Belle litanie. Et s’il entreprend de remodeler la loi de finances 2020, pour accroître le budget de la Santé publique, en raclant dans ceux de quelques autres secteurs, il fera face à une levée de boucliers.

En cette période de grands périls, tout retombe sur les épaules de Fakhfakh. Parce que le temps n’est plus aux tergiversa­tions. Parce que, justement, il y a une demande d’etat. Un Etat-providence.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia