Le Temps (Tunisia)

Témoignage sur une galère non programmée

Expérience vécue

- Zouhour HARBAOUI

La décision de la fermeture des frontières du jour au lendemain peut être salvatrice pour faire face à une pandémie comme le coronaviru­s. Cependant, il n’a pas été tenu-compte, dans cette décision, des Tunisiens qui étaient à l’étranger en «mission» et qui devaient rentrer au pays. L’expérience a été vécue par moi-même et par la compagnie théâtrale Elhafedh de Hafedh Zallit. Témoignage sur une galère non programmée...

Pour faire face à la pandémie du coronaviru­s, plusieurs décisions se voulant salvatrice­s ont été prises, au détriment d’une certaine logique. Et beaucoup de Tunisiens qui étaient à l’étranger ont été pénalisés et certains le sont encore.

Ainsi, à l’occasion du Marché des arts du spectacle d’abidjan (MASA/CÔTE d’ivoire), qui s’est déroulé du 07 au 14 mars, un groupe de musiciens, à savoir celui d’adel Bondka, et la compagnie de théâtre de Hafedh Zallit ont été invités à y représente­r notre pays ; personnell­ement, j’étais sur place pour faire la couverture de cet événement biennal.

Le groupe d’adel Bondka a eu plus de chance que la troupe de Zallit. En effet, il est rentré sur Tunis le vendredi 13 mars (comme quoi un vendredi 13 peut porter bonheur). Par contre, la compagnie Elhafedh et moi n’avons pas eu cette chance car notre retour était programmé le lundi 16 mars, avec un départ d’abidjan à 01h30. Et nous avons connu une véritable galère non programmée.

Un chef d’escale manquant d’humanisme et d’humanité

Le dimanche 15 mars, au matin, nous recevons un mail de la part de la Royal Air Maroc (RAM) (transporte­ur officiel du MASA), nous annonçant que notre vol Casa-tunis a été annulé. Je contacte l’organisati­on du MASA, qui a, son tour, contacte la RAM. Un des responsabl­es de cette dernière, leur certifie qu’il n’y aura pas de problème et que les voyageurs seront rapatriés chez eux. Le soir, nous nous présentons à l’aéroport internatio­nal Félix Houphouët Boigny et là le chef d’escale de la compagnie aérienne marocaine nous dit qu’il n’y a pas de vol entre Casa et Tunis et que l’on ne pouvait même pas embarqués sur le vol Abidjan-casa. Et là une question : est-ce une peur de contaminat­ion ou une question politique ?

Hafedh Zallit et moi décidons d’aller voir le chef d’escale de notre compagnie nationale Tunisair pour trouver une solution et embarquer sur le vol pour Tunis. Ce chef d’escale, qui, soit dit en passant, porte très mal son prénom parce qu’il manque de patience, nous a très mal accueillis. Et là, j’ai eu l’impression d’avoir affaire à un marchand de légume qui tempête sur une cliente car elle a acheté ses pommes de terre ailleurs que sur son étal à lui. Il m’a dit : «Madame, vous n’avez pas voulu acheter vos billets chez nous, allez-voir mes voisins -le box de Tunisair est collé à celui de la RAM». Je lui ai répondu que nous n’avions rien acheté du tout puisque nous étions invités. Voulant un peu détendre l’atmosphère avec mon humour corrosif, je lui ai, également, dit que, quitte à mourir, nous préférons mourir dans notre pays. Ce qu’il a très mal pris, pourtant il est Tunisien. Si nous ne pouvons plus rire pour déstresser autant aller se suicider ! Bref. Ce chef d’escale nous a, carrément, envoyés balader, en nous disant qu’il fallait qu’on achète un billet aller Abidjan-tunis.

Une ambassade en manque de budget

Quelques jours avant, je m’étais présentée à l’ambassade de Tunisie en Côte d’ivoire pour signaler la présence tunisienne au MASA. Et heureuseme­nt ! Il faut savoir que lorsque l’on se rend à l’étranger, même pour une petite période, il faut toujours se signaler. Le chargé des Affaires économique­s et consulaire­s, Dhou Elfakar Ibn Ahmed, a été très aimable et m’a remis sa carte de visite. Donc, le dimanche soir, je le contacte pour lui parler de notre situation à l’aéroport. Il nous demande de passer le voir le lendemain à l’ambassade et de lui envoyer par mail le scan de notre passeport pour préparer les laisser-passer. Je contacte le MASA qui nous renvoie vers nos hôtels.

Le lendemain, nous nous donnons rendez-vous à notre ambassade. Le staff se met en quatre pour régler notre problème de retour. Et là, après quelques heures, et contact avec notre ministère des Affaires étrangères, le couperet tombe : selon ce ministère, l’ambassade de Tunisie en Côte d’ivoire n’a pas le budget nécessaire pour nous payer les billets d’avion et nous rapatrier. De plus, nous apprenons que toutes les frontières tunisienne­s allaient être fermées sous peu et que si on ne trouvait pas une solution, nous allions rester coincés en terre ivoirienne.

Branle-bas de combat

Hafedh Zallit décide de faire bouger le ministère des Affaires culturelle­s. Pendant ce temps, je me rends au siège du MASA pour que, de leur côté, ils nous trouvent une solution. Le directeur général, Yacouba Konaté, donne des directives dans ce sens -j’ai retrouvé le responsabl­e du transport internatio­nal du MASA à l’agence Tunisair. Entre temps, les prix des billets ont augmenté de façon vertigineu­se. En contact téléphoniq­ue avec Zallit, il m’apprend que le ministère des Affaires culturelle­s est en branle-bas de combat pour essayer de financer les billets. N’étant pas artiste, mais journalist­e, et ayant peur que le ministère n’arrive pas à payer les billets, je me suis débrouillé­e pour acheter le mien. Deux de la compagnie théâtrale aussi. Ainsi, la charge a été moins lourde pour le ministère des Affaires culturelle­s, qui a réussi à envoyer cinq billets d’avion. Il était moins une. Nous sommes tous rentrés à Tunis et nous sommes confinés chez nous pour 14 jours. Mais imaginez un peu, si nous n’avions pas trouvé aucune solution, il y aurait eu huit Tunisiens presque livrés à eux-mêmes, dont une femme enceinte ayant perdu son père deux jours avant son retour...

Même si nous avons vraiment galéré, mine de rien, nous avons eu de la chance, car qui connaît le nombre de Tunisiens qui sont coincés à travers le monde et qui ne peuvent pas rentrer chez eux à cause de cette subite fermeture des frontières...

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