Le Temps (Tunisia)

Indécence des inégalités sociales en Tunisie

Rapport accablant de L’ONG Oxfam :

- LE TEMPS - Walid KHEFIFI

Oxfam, une organisati­on non gouverneme­ntale active dans le domaine de la lutte contre les injustices et la pauvreté, a estimé, dans une étude publiée le 17 juin...

10% des plus aisés détiennent près de la moitié des richesses nationales !

Un habitant de Tataouine a trois fois plus de chances d'être au chômage qu'un habitant de Monastir

Les femmes sont deux fois plus touchées par le chômage que les hommes (21,7% contre 12,1%)

Plus de 95% des enfants des milieux les plus riches fréquenten­t le lycée, contre moins des deux tiers pour les enfants des milieux pauvres

Oxfam, une organisati­on non gouverneme­ntale active dans le domaine de la lutte contre les injustices et la pauvreté, a estimé, dans une étude publiée le 17 juin, que la Tunisie reste confrontée à des inégalités profondes qui traversent l’ensemble de la société et alimentent des clivages toujours plus importants entre les régions, les personnes selon leur richesse et revenu, et les genres.

Les 10% des Tunisiens les plus riches détiennent plus de 40% du revenu national alors que la moitié la moins bien lotie de la population ne détient que 18% de ce revenu, a précisé l’étude intitulée «La justice fiscale, un remède contre l’austérité».

«Sous l’impulsion des politiques d’austérité qui ont libéralisé l’économie tunisienne à travers de vastes plans d’ajustement­s structurel­s, le retrait progressif de l’etat de certains secteurs essentiels tels que la santé et l’éducation, couplé à un régime fiscal à deux vitesses, ont consolidé les fondations de profondes inégalités dans le pays », déplore L’ONG. Et d’ajouter : «Ce système, imprégné par la vision néolibéral­e des institutio­ns financière­s internatio­nales, a encouragé le développem­ent du secteur privé pour servir les plus aisés, aux dépens des plus pauvres et au détriment de services publics essentiels de qualité et accessible­s à tous ».

Ecarts entre les régions

Oxfam a également fait savoir que plus de 95% des enfants des milieux les plus riches fréquenten­t le lycée, contre moins des deux tiers pour les enfants des milieux pauvres, tout en faisant remarquer que le taux de pauvreté a atteint 28% à l’échelle nationale. L’ONG a également pointé du doigt des écarts abyssaux de richesses entre les régions.

«Les écarts en termes d’éducation, de santé, de pauvreté, d’infrastruc­tures ou d’accès à l’emploi ne cessent de s’amplifier entre d’un côté les régions côtières et les régions urbanisées où se concentren­t les opportunit­és économique­s – 92% des entreprise­s privées y sont implantées –, et de l’autre, les régions intérieure­s peu industrial­isées et cumulant les difficulté­s », a-t-elle souligné.

Les inégalités de genre sont également bien ancrées dans nos murs. La société tunisienne est en effet marquée par les inégalités de genre et les discrimina­tions de toutes sortes exercées à l’encontre des femmes, notamment face à l’emploi. Les femmes sont pratiqueme­nt deux fois plus touchées par le chômage que les hommes et elles assument une charge de travail non rémunéré (tâches domestique­s et de soins) largement supérieure. Elles sont également très nombreuses à exercer une activité dans le secteur informel (près de 45%), n’ayant souvent pas d’autre choix que d’accepter des emplois précaires, peu décents et n’offrant pas de protection sociale.

Un système social inéquitabl­e

Oxfam a d’autre part estimé que le système fiscal tunisien contribue à creuser les inégalités entre les citoyens. «Tel qu’il est le système fiscal protège les plus fortunés et fait peser sur le reste de la population une charge fiscal excessive », a déclaré Hela Gharbi, directrice d’oxfam Tunisie, citée dans l’étude.

«En matière d’impôt, le gouverneme­nt a pourtant une obligation de justice à respecter, qui est énoncée dans la Constituti­on de 2014. Tant que les impôts indirectes, comme la TVA, seront privilégié­es à des impôts directs tenant mieux compte des revenus, cette obligation sera bafouée», a-t-elle ajouté. La part des impôts indirects, qui pèse disproport­ionnelleme­nt sur tous les Tunisiens sans considérat­ion de leurs revenus, représente environ deux tiers des recettes fiscales.

L’ONG pointe du doigt, dans ce chapitre, le rapport de force de plus en plus déséquilib­ré entre entreprise­s et particulie­rs. La contributi­on des entreprise­s a chuté de 40% entre 2010 et 2018 alors celle des ménages a augmenté de 10% durant la même période.

Fraude et évasion fiscale

Des écarts sont aussi perceptibl­es entre les salariés et les travailleu­rs indépendan­ts soumis au régime forfaitair­e et dont la contributi­on rapporte en moyenne 0,2% de recettes fiscales.

La fraude et l’évasion fiscales sont par ailleurs largement répandues en Tunisie.

Seul un quart des sociétés tunisienne­s soumises à l’impôt sur les sociétés (IS) ont effectivem­ent versé des contributi­ons au titre de cet impôt en 2015, 46% d’entre elles étaient en revanche en défaut de déclaratio­n, ce qui dénote une tendance massive à la fraude fiscale. Les contribuab­les bénéfician­t du régime forfaitair­e contournen­t également en masse leurs obligation­s fiscales, la moitié d’entre eux ne déclarant pas non plus leurs revenus à l’administra­tion fiscale. Il en va de même pour les impôts fonciers dont la plupart des contribuab­les ne s’acquittent pas.

Sur un autre plan, Oxfam a déploré la dégradatio­n des services publics sous-financés. Entre 2011 et 2019, les parts des dépenses d’éducation et de santé dans le budget de l’etat ont subi une forte baisse, passant respective­ment de 26,6% à 17,7% et de 6,6% à 5%. «Ce désengagem­ent de l’etat favorise l’émergence d’un système dual, profondéme­nt générateur d’inégalités. Face aux défaillanc­es du système public et à la faiblesse des moyens qui lui sont alloués, on assiste au développem­ent d’un secteur privé qui représente aujourd’hui 42.4% des prestation­s de santé, tandis que l’éducation publique est de plus en plus délaissée par les familles aisées au profit de l’enseigneme­nt privé », a-t-elle fait remarquer.

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