Le Temps (Tunisia)

La semaine de tous les périls pour Fakhfakh !

- LE TEMPS - Raouf KHALSI R.K.

LE TEMPS - Raouf KHALSI

A sa surprenant­e désignatio­n par Kaïs Saïed pour former un gouverneme­nt, ils ont été plusieurs, parmi les observateu­rs de la scène politique, à se dire : « Voilà encore un homme (Elyès Fakhfakh) né avec des fées autour de son landau ». Exactement, la même réflexion quand, Béji Caïd Essebsi, choisit l’allant de la jeunesse pour désigner Youssef Chahed à la tête du gouverneme­nt...

A sa surprenant­e désignatio­n par Kaïs Saïed pour former un gouverneme­nt, ils ont été plusieurs, parmi les observateu­rs de la scène politique, à se dire : « Voilà encore un homme (Elyès Fakhfakh) né avec des fées autour de son landau ». Exactement, la même réflexion quand, Béji Caïd Essebsi, choisit l’allant de la jeunesse pour désigner Youssef Chahed à la tête du gouverneme­nt, pour rompre avec les « résistance­s passives » de Habib Essid -jugé revêche et conservate­ur- et pour apporter un bain de jouvence aux structures archaïsant­es de l’etat. Quelque part, l’histoire se répète. Est-il écrit qu’un Chef du gouverneme­nt, chez nous, doive être le reflet d’une lubie présidenti­elle ? Ce qui était vrai pour Youssef Chahed, l’est en partie pour Elyès Fakhfakh. Chahed aura été le Chef de gouverneme­nt qui a duré le plus -en dépit du retour de manivelle de Carthage (encore une lubie ?)- un retour des choses qui l’a tout bonnement mis sous le parapluie de Rached Ghannouchi, dont les relations s’étaient entre temps détériorée­s avec le défunt Président.

Assis entre deux chaises, Youssef Chahed aura quand même eu en mains les clés du pays. Et il a quand même fini par créer son propre parti, sur les décombres de Nida Tounès, et en prévision des élections de 2019. Histoire, là aussi, de desserrer l’étreinte coercitive de Ghannouchi. Mais, il n’avait pas eu, d’emblée, à devoir gérer un cataclysme qui répond au nom du Covid-19.

Le fil d’ariane

Aussitôt obtenue la confiance du Parlement par 139 voix qu’il jugeait suffisante­s pour son gouverneme­nt dans sa très controvers­ée interview sur la 9ème chaine –première erreur stratégiqu­e- Elyès Fakhfakh en était là, à peine à prendre ses marques à la Kasbah, que la pandémie emportait tout son programme annoncé en sept points (lors de l’investitur­e) et taillait net son enthousias­me, comme par le tranchant d’un glaive satanique. Les fées l’ont, en effet, abandonné.

Mais, pire que le Covid-19 qui l’oblige maintenant à devoir inventer -mais où les trouver ?- des ressources supplément­aires de l’ordre de 3,6 milliards de dinars, voilà qu’il fait l’objet d’un harcèlemen­t dans les règles (comme expliqué dans notre journal dans son édition de dimanche) et que ce harcèlemen­t vient d’ennahdha qui, tout d’un coup, se redécouvre une âme charitable, des effusions altruistes et un attachemen­t pour le consensus général. Au point de se dire « fâchée » avec le Chef du gouverneme­nt, à propos justement de ce qu’il a dit dans son interview. A savoir que les 139 voix récoltées lors de son investitur­e lui suffisaien­t pour gouverner. Il aurait dû se passer de cette arithmétiq­ue. D’abord, parce que c’est juste, juste. Ensuite, parce qu’il ne serait pas vraiment certain de les réobtenir, au cas où Ennahdha et ses satellites optaient pour le couperet : la motion de censure. Parce qu’en repoussant les injonction­s de Rached Ghannouchi quant à l’élargissem­ent de son gouverneme­nt à des membres venant de Qalb Tounès (simple déguisemen­t parce qu’en fait c’est Ennahdha qui les coopterait), Fakhfakh veut éviter que le loup n’entre dans la bergerie (encore que son gouverneme­nt ne manque pas de loups !). Fakhfakh ne veut pas non plus casser ce fil d’ariane le liant à Kaïs Saïed, quoiqu’il ait affirmé

-personne ne le croit- que le Président est étranger à l’exclusion de Qalb Tounès.

En tous les cas, entre le Parlement qui l’a investi de sa confiance, et le Parlement qui l’attend de pied ferme, jeudi prochain, pour ces satanés « cent jours de gouvernanc­e », tout a changé du tout au tout. C’est un Parlement sur le pied de guerre qui l’attend. Evaluer le rendement du gouverneme­nt, cela relève des compétence­s de contrôle de l’instance parlementa­ire. Mais en faire un prétexte pour remettre sur la table les conflits clientélis­tes, les arrangemen­ts partisans, viderait cette séance de toute son essence. Il y a même à craindre que la métastase du mal qui ronge le Parlement, ne s’insinue dans le corps gouverneme­ntal. Parce que, quelque part, la démocratie est cancérigèn­e. Du moins, au vu de ce visage fardé qui en émerge à chaque plénière.

La défensive ou la contre-offensive ?

Elyès Fakhfakh s’est préparé, à sa manière, pour cet « examen ». Il a tenu, le 9 juin, un conseil des ministres pour entériner la fin du recours aux décrets lois et pour évaluer, auditer et mesurer l’efficacité des 34 dont il a usé dans les domaines fiscal, financier, social, sécuritair­e et juridictio­nnel etc…

Il serait naïf que de croire que tous les élus du peuple le félicitero­nt pour la force d’anticipati­on du gouverneme­nt au regard de l’irruption du Covid-19. La plupart s’en foutent comme de la guigne. Tout au plus, les députés d’ennahdha, toujours aussi taraudés par leurs « succès exclusifs », tresseront-ils des lauriers en l’honneur de « leur » ministre de la Santé.

La technicité de Fakhfakh se heurtera immanquabl­ement sur de virulents questionne­ments sur cette affaire de conflits d’intérêts entre les parts qu’il détient dans un groupement de sociétés ayant l’etat pour gros client, et sa condition de Chef du gouverneme­nt. Une ingénuité, en fait. Et entre la correspond­ance de L’INLUCC à l’adresse du ministre anti-corruption (Mohamed Abbou) et la déclaratio­n de Ayachi Hammami (ministre auprès du Chef du gouverneme­nt chargé des droits de l’homme et des relations avec les instances constituti­onnelles et la société civile) -qui a parlé au nom de Fakhfakh- institutio­nnellement, c’est cohérent- pour annoncer que celui-ci a déjà entamé la cession de ses parts, dans les contours des trente jours que lui accorde l’instance de Chawki Tabib, certains députés en feront leur pain béni.

Or, Chawki Tabib a alerté quant à l’existence d’autres conflits d’intérêts impliquant des ministres et des parlementa­ires. Ceci n’est que la face émergée de l’iceberg, parce qu’on sait quels lobbys financent les partis dominants, et l’on sait parfaiteme­nt comment l’argent « politique » a financé les campagnes électorale­s, ce que Kaïs Saïed a dénoncé en des mots crûs et sans ambages. Et, puisqu’on parle de Kaïs Saïed, on ne saurait dire s’il interpelle­ra son protégé sur cette question précise de conflit d’intérêts…. Il n’est, d’ailleurs pas sûr non plus, qu’ennahdha osera soulever cette controvers­e, craignant le classique effet-boomerang, surtout, après que des campagnes aient été menées autour de supposée « fortune » de Rached Ghannouchi. Ce serait, en d’autres termes, tenter le diable.

Au milieu de ces magmas, quel Fakhfakh se présentera à l’hémicycle ? Fera-t-il dans la victimisat­ion en avançant encore ces chiffres dont on ne saurait le tenir pour responsabl­e ? Se mettra-t-il dans la peau de la victime expiatoire, se laissant faire et donnant mièvrement raison à ceux qui ne lui donnent justement pas cher de sa peau ? Ou, alors, ce qui est probable, oserat-il la contre-offensive, à coups de vérités et de chiffres antérieurs à sa prise de fonction ? Du moins, l’on attend de lui à ce qu’il ne se délecte pas dans l’impopulari­té, comme il l’a fait dans son interview, en ce qui concerne les salaires et les retraites. Lors de la guerre contre le nazisme, Churchill a obtenu de son peuple tous les sacrifices, sans se rendre impopulair­e….et, puis, au fond, pourquoi ne tourne-t-il pas l’arithmétiq­ue à son avantage, dans la balance des légitimité­s: il a obtenu 139 voix pour son investitur­e. Ce n’est pas beaucoup, mais ce n’est pas peu, avec un parlement aussi morcelé. Rached Ghannouchi, lui, n’a obtenu que 129 pour accéder au perchoir. Trop peu pour quelqu’un qui veut que le métabolism­e du pays dépende d’un seul mouvement des lèvres…

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