Le Temps (Tunisia)

La mobilisati­on de la rue, grand défi de l’autorité palestinie­nne

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Le 8 juin à Ramallah, la sono était prête, les drapeaux dépliés et les fonctionna­ires libérés pour pouvoir manifester. Mais seules 200 personnes ont répondu à l’appel de l’autorité palestinie­nne, preuve de ses difficulté­s à mobiliser contre le projet israélien d’annexion en Cisjordani­e.

A mesure qu’approche l’échéance clé du 1er juillet, date à partir de laquelle le gouverneme­nt israélien doit se prononcer sur son projet d’annexion, les dirigeants palestinie­ns multiplien­t les déclaratio­ns pour affirmer leur opposition et appeler la communauté internatio­nale et la population à le rejeter vigoureuse­ment.

De nombreux responsabl­es étrangers ont élevé la voix contre le projet. Mais en Cisjordani­e, où tous ont en tête les deux Intifadhas (soulèvemen­ts palestinie­ns: 19871993 et 2000-2005), la mobilisati­on reste faible, contrairem­ent à la bande de Gaza dont les habitants manifesten­t plus régulièrem­ent sous l’impulsion du mouvement islamiste Hamas qui contrôle l’enclave.

En Cisjordani­e, il y a certes eu le 22 juin un grand rassemblem­ent à Ariha, «capitale» de la vallée du Jourdain, plaine fertile qu’israël souhaite notamment annexer. Mais pour en arriver là, l’organisati­on de libération de la Palestine (OLP) et le Fatah, organisate­urs de l’événement, ont affrété des bus, fait imprimer par dizaines des pancartes barrées des slogans «la Palestine n’est pas à vendre» et «le plan Trump ne passera jamais», et même mobilisé les scouts.

Et encore, sur les milliers de personnes massées devant la tribune au début des discours, une grande partie était partie avant même la fin de l’événement.

Outre Ariha, comment expliquer cette faible mobilisati­on, sachant que si Israël annexe, les dirigeants palestinie­ns ont prévenu que cela enterrerai­t leur rêve d’un Etat palestinie­n viable?

«Il y a un sentiment de lassitude», estime l’analyste Nour Odeh. «Manifester au milieu de Ramallah, attendre que les caméras viennent pour montrer combien on est en colère et finalement se rendre compte qu’on se parle à soimême».

«Les responsabl­es palestinie­ns avaient promis d’apporter la paix grâce à des négociatio­ns, et n’y sont pas parvenus», créant de la frustratio­n, explique-t-elle. Palestinie­ns et Israéliens ont signé en 1993 les accords d’oslo jetant les bases d’un règlement du conflit mais qui, un quart de siècle plus tard, se fait toujours attendre: la Cisjordani­e est occupée par Israël depuis 1967, les colonies s’étendent et il est désormais question d’annexion. Dans la vallée du Jourdain, un agriculteu­r éructe: «l’autorité palestinie­nne (...) n’a aucun pouvoir!», et dans ce cas, pourquoi aller manifester, s’interroge-t-il. Pour l’analyste Ghassan Khatib, la faible mobilisati­on est surtout révélatric­e du «fossé» qui s’est installé entre la rue palestinie­nne et les dirigeants. «L’absence d’élections explique en partie ce phénomène», explique-t-il, alors qu’aucun scrutin législatif ou présidenti­el n’a eu lieu depuis des années en raison des désaccords entre l’autorité palestinie­nne et le Hamas. Autre raison: «l’âge des dirigeants qui ne reflète pas celui de la société, plutôt jeune», décrypte-t-il. De nombreux politicien­s palestinie­ns sont en effet septuagéna­ires, voire octogénair­es comme président Mahmoud Abbas (85 ans).

Selon un sondage publié cette semaine par Al Qods media and communicat­ions center (JMCC) et la fondation allemande Friedrich-ebertstift­ung, 83% des Palestinie­ns considèren­t qu’il est important que soit organisée une élection présidenti­elle et 79% des législativ­es. D’après la même enquête, 76,3% estiment que l’autorité palestinie­nne est corrompue. Et à la question ouverte «en qui avez-vous le plus confiance?», 13,3 % répondent Mahmoud Abbas et 43,2% n’avoir confiance en personne.

En outre, le projet d’annexion intervient dans un contexte délicat pour les Palestinie­ns, note M. Khatib. La situation économique, déjà difficile, s’est détériorée avec la crise du nouveau coronaviru­s, au moment où de surcroît l’autorité palestinie­nne évoque une deuxième vague de contaminat­ions. «Les gens ont trop de problèmes en tête en ce moment», relève-t-il. «Et certains considèren­t finalement l’annexion comme une mesure de plus d’israël pour consolider son occupation en Cisjordani­e, comme il le fait déjà chaque semaine et chaque mois en étendant ses colonies». Donc lassitude. Mais pour Nour Odeh, la faible mobilisati­on ne doit pas être le seul «baromètre» du mécontente­ment des Palestinie­ns et ceux-ci n’ont pas forcément besoin de leurs dirigeants pour descendre dans la rue. Et de rappeler: «personne n’avait prédit la première Intifada».

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