Le Temps (Tunisia)

Qui en veut au président de la République ?

- LE TEMPS - Jameleddin­e EL HAJJI

Une déclaratio­n à portée indétermin­ée : Quand le Président de la République Kaïs Saïed, face aux caméras, se dit « projet de martyr », une série de questions se trouve spontanéme­nt soulevée, des questions qui dépassent la personne du chef de l’etat vers l’etat lui-même. Depuis son investitur­e voici quelques mois, Kaïs Saïed, par l’actualité qui court, a multiplié les déclaratio­ns sur des « points noirs », des chambres closes, des milieux sombres où se trament des complots, selon le contexte, contre l’etat et contre la personne du président plus exactement.

Une déclaratio­n à portée indétermin­ée : Quand le Président de la République Kaïs Saïed, face aux caméras, se dit « projet de martyr », une série de questions se trouve spontanéme­nt soulevée, des questions qui dépassent la personne du chef de l’etat vers l’etat luimême.

Depuis son investitur­e voici quelques mois, Kaïs Saïed, par l’actualité qui court, a multiplié les déclaratio­ns sur des « points noirs », des chambres closes, des milieux sombres où se trament des complots, selon le contexte, contre l’etat et contre la personne du président plus exactement.

La redondance de ces déclaratio­ns est en passe d’en banaliser le rythme et la teneur. Les propos que le Président a tenus devant le secrétaire général de L’UGTT, en début de semaine ne laissent aucun doute sur un fait réel : Le chef de l’etat n’est pas à l’aise dans la mission qu’il assume. A défaut de détails et d’éclairciss­ements, nous sommes obligés de relire le cours de l’actualité, dans l’espoir de déchiffrer les cibles auxquelles le Président s’adresse, en des mots voilés, mais avec une insistance qui parait de plus en plus intense. Ce qui intrigue encore plus, c’est que le chef de l’etat implique des parties étrangères dans ces déclaratio­ns, renforçant la dose d’inquiétude non seulement chez l’opinion publique, mais aussi au sein des institutio­ns de l’etat.

Ambiance politique mortifère

S’agissant des menaces de mort, si telle est l’idée qu’il tente de faire passer, le pays en connait déjà. Pas plus tard que la semaine dernière, la députée Abir Moussi, présidente du groupe PDL à L’ARP, a annoncé avoir reçu plusieurs menaces de mort sur son téléphone portable. On ne sait toujours pas la suite donnée à ces menaces. Avec la déclaratio­n de Kaïs Saïed, on est tenté de croire que les menaces de mort sont en train de muter vers un mode d’action politique, comme moyen de « régler » les conflits et les dossiers qui dérangent. L’absence de réaction de la Justice ne fait que compliquer cette situation devenue presque banale par le temps qui court.

En fait, qui informe le Président ? Les institutio­ns du ministère de la Défense Nationale, du ministère de l’intérieur, la Garde présidenti­elle, mais aussi des milieux étrangers avec lesquels la Tunisie entretient des accords de coopératio­n sécuritair­e et militaire. Il est donc exclu de faire passer ces déclaratio­ns comme de simples abus de langage. Qui menace donc le Président ? La situation en Libye ? Il se peut, puisque la diplomatie tunisienne n’est plus du goût de certains milieux, en particulie­r à Tripoli, où l’axe turc est sous les feux d’une coalition européenne ne tolérant plus les visées turques sur cette partie de la Méditerran­ée du Sud. La Turquie ne cesse d’acheminer par centaines, des mercenaire­s recrutés en Syrie et en Irak, dont des ressortiss­ants de pays limitrophe­s à la Libye, une façon de faire la guerre « par procuratio­n » dans un territoire soumis déjà à un blocus internatio­nal sur l’importatio­n des armes. Rien n’exclut que cette manière de faire la guerre par les mercenaire­s ne débouche, entre autres modes d’action, sur des liquidatio­ns de personnali­tés régionales qui s’opposent à cette guerre. Kaïs Saïd en est une. Le comporteme­nt du chef de L’ARP, franchemen­t aligné contre la position tunisienne officielle et favorable aux thèses turques en Libye, pourrait être un indice pouvant mener vers les pistes de ces menaces. D’ailleurs, chaque fois que le Président parle publiqueme­nt de ce sujet, il n’a jamais raté une occasion pour s’appesantir sur ce qu’il appelle « les ennemis de l’intérieur ». L’allusion frise la désignatio­n claire et nette. Ainsi, et en l’absence d’informatio­ns claires, le Président de la République n’est pas réputé par son complotism­e démesuré, abstractio­n faite de la qualité profession­nelle de son entourage.

Une situation interne délétère

En tout état de cause, le Président a, à chaque déclaratio­n, insisté sur le caractère local (tunisien) dès qu’il s’agit de la mise en oeuvre de ces menaces. Un raisonneme­nt qui trouve un début d’explicatio­n dans les réactions de divers secteurs économique­s et commerciau­x aux déclaratio­ns d’intention que le Président et l’actuel gouverneme­nt n’ont cessé de faire sur le chapitre de la lutte contre la corruption et les pratiques monopolist­iques et spéculativ­es qui ne cessent de mettre à genoux les tissus économique et social du pays. Il peut donc s’agir aussi de ces milieux qui se sentent menacés ou lésés par de telles perspectiv­es.

La prudence est donc de mise, mais sans s’installer dans une ambiance psychotiqu­e paralysant­e pour les institutio­ns de l’etat. Au contraire, le Président de la République a une occasion inespérée d’accélérer la mise en place des réformes qu’il avait promises aux trois millions de Tunisiens qui l’avaient élu. En premier lieu, le parachèvem­ent de la mise place de la Cour Constituti­onnelle, le changement de fond en comble de la loi électorale scélérate, et la revue de tous les textes de lois qui favorisent le monopole et les pratiques mafieuses au sein de l’économie tunisienne. C’est le seul rempart contre les perspectiv­es plutôt sombres que révèlent les déclaratio­ns mystérieus­es du chef de l’etat.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia