Pas de côté
D’un cynisme qui n’est plus à démontrer, le premier ministre israélien, Benjamin Nétanyahou, est allé défendre récemment son projet d’annexion unilatérale de grands pans de la Cisjordanie occupée devant les Chrétiens unis pour Israël, un lobby évangélique américain qui ne demandait pas mieux que de le voir défendre «notre héritage commun» et biblique. Question de maintenir la pression sur le président américain, si tant est que ce soit nécessaire. «Bibi» ne sait que trop bien qu’au-delà de la communauté d’esprit politicienne qui le lie au président américain, ce dernier a absolument besoin de l’appui des fondamentalistes chrétiens blancs pour remporter la présidentielle du 3 novembre prochain. Le surpoids que font peser ces deux hommes sur les affaires du monde est tributaire d’une bien petite fraction de leur électorat respectif.
L’increvable Nétanyahou est parvenu contre vents et marées à rester premier ministre en avril dernier, au terme de trois élections législatives tenues en 16 mois. Et ce, malgré le procès ouvert contre lui pour des affaires de corruption, de fraude et d’abus de confiance. À la faveur de la formation, au nom de la lutte contre la COVID-19, d’un gouvernement «d’union et d’urgence» avec son principal rival, l’ambigu général Benny Gantz, il a fait inclure dans l’accord de gouvernement son projet d’annexion dont il avait fait une promesse électorale il y a plus d’un an — non sans évidemment que la «communauté internationale» pousse les traditionnels hauts cris qui, si justifiés soient-ils, n’empêchent pas Israël depuis des décennies de s’approprier par colonisation juive les territoires palestiniens, morceau par morceau.
Avec le mercredi 1er juillet en point de mire, on pouvait s’attendre à ce que M. Nétanyahou, qui ne s’est pas privé ces dernières semaines d’alimenter le battage médiatico-politique, dévoile les mesures d’application de son ignoble proposition. Ce qui ne s’est finalement pas produit dans l’immédiat, faute de plan d’action dûment élaboré par le gouvernement israélien, ce qui est tout à l’image des stratégies de communication de Bibi, et compte tenu par ailleurs d’apparentes hésitations de dernière minute de la part de Washington sur la configuration de l’annexion, particulièrement dans la fertile vallée du Jourdain jouxtant la Jordanie. Le délai ne changera rien à l’affaire. En M. Trump, la droite dure israélienne n’a jamais eu de partenaire plus fiable et plus
LE DEVOIR (Canada) complaisant. Tant il est vrai que, finalement dévoilé en janvier dernier, le «plan de paix» échafaudé par Jared Kushner, le gendre du président caractériel, cherche tout au plus à conserver l’illusion de la création éventuelle d’un État palestinien ; il saute aux yeux qu’il s’agit moins d’un plan de paix que d’un exercice de légitimation de l’occupation remontant à 1967. En attendant que les détails soient réglés, Bibi fait ce qu’il fait le mieux pour se maintenir au pouvoir et finasse sur le dos des Palestiniens et des Arabes israéliens. Après la fuite en avant sous forme de promesse d’annexion unilatérale, il faut donc un pas de côté.
Israël s’en prenant aux Palestiniens par colonisation rampante et illégale, la communauté internationale fait comme d’habitude. Elle s’indigne en ordre dispersé, mais refuse d’envisager des gestes de protestation concrets. En l’occurrence, le Canada fait preuve, lui, d’un mutisme assourdissant. Si bien que la situation actuelle est en continuité avec une longue histoire de duplicités. Celles de M. Nétanyahou qui n’arrête pas de bluffer en faisant semblant, encore que de moins en moins, de défendre le principe d’une solution à deux États. Celles des démocraties occidentales qui s’insurgent alors que, Israël contrôlant déjà, sur les plans sécuritaires et économiques, l’essentiel de la Cisjordanie, l’annexion tient du fait accompli.
Celles aussi des dictatures arabes qui défendent la cause palestinienne du bout des lèvres dans un contexte de dépendance militaire et financière vis-à-vis des États-unis et de convergence croissante d’intérêts anti-iraniens avec le gouvernement Nétanyahou. Il faut voir à quel point ces pays, tels l’égypte et les Émirats arabes, ont réagi de façon prudente au plan de paix américain et à un projet d’annexion qui enterre pourtant la faisabilité d’un État palestinien. Cela montre bien que ces gouvernements instrumentalisent la cause palestinienne à des fins de légitimation intérieure plus qu’ils ne la défendent vraiment. Cas particulier : la Jordanie voisine, dont la population est pour moitié d’origine palestinienne. Petit royaume pris en étau qui a raison de craindre un «conflit majeur» si annexion il y a.
Résultat : Benjamin Nétanyahou — que sa collusion avec Trump n’empêche pas de manger au râtelier chinois, comme le font du reste, et de plus en plus, les principales capitales du Moyen-orient, de Riyad à Téhéran — continue de tirer les ficelles.