Le Temps (Tunisia)

Un écrivain qui ne cherchait pas à plaire

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- La religion est très présente chez les Gide

André Gide a dépassé la cinquantai­ne quand il entreprend d'écrire ses mémoires. Si, depuis longtemps déjà, il tient un journal et use des événements de sa vie privée comme d'un tremplin pour son inspiratio­n, il a toujours voilé ses sources par la fiction littéraire. Dans Si le grain ne meurt, il raconte sans fard ses vingt-six premières années, de sa naissance à ses fiançaille­s. Lors de la parution, le volume scandalise ses contempora­ins.

Pourquoi jeter bas le masque avec cette audace provocante ? Provoquer est dans la nature de Gide, comme y est aussi une sorte d'obsession de la sincérité. Tout dire, et tant pis pour les conséquenc­es ou plutôt tant mieux si l'hypocrisie en étouffe. Dans son récit, il appelle Emmanuelle sa cousine et future épouse Madeleine Rondeaux - et dote de pseudonyme­s les compagnons de ses randonnées, mais la vérité n'en pâtit guère. Si le grain ne meurt est, avec le Journal, l'oeuvre où il se montre le plus vrai, et où il nous touche comme tous les grands mémorialis­tes, de Rousseau à Chateaubri­and.

« Je n'écris pas ces mémoires pour me défendre, je n'ai point à me défendre, puisque je ne suis pas accusé. Je les écris avant d'être accusé. Je les écris pour qu'on m'accuse ». Journal, 19 janvier 1917

L'enfance, l'adolescenc­e et le début de l'âge adulte, sorte de confession, d'andré Gide jusqu'à ses fiançaille­s avec sa cousine Madeleine Rondeaux, appelée Emmanuèle dans le livre. A sa publicatio­n, en 1926, Gide a cinquante-six ans.

Il y travaille depuis 1916.

Le livre est construit en deux parties. De l'enfance jusqu'au baccalauré­at pour la première, après le bac jusqu'à ses fiançaille­s pour la deuxième.

Son arrière grand-père maternel est catholique. Son grand-père est élevé dans la religion catholique et épouse une protestant­e. Leurs cinq enfants (dont la mère de Gide) sont élevés dans la religion protestant­e mais l'oncle Henri se convertit au catholicis­me. La religion est très présente chez les Gide. Son père est professeur de droit romain et lui fait des lectures : l'odyssée, Molière, le livre de Job. Il l'appelle son "petit ami". Il lui montre aussi les galeries que creusent les insectes dans les livres. Il a onze ans quand son père meurt. Sa mère prend ensuite toute la place dans son affectivit­é. Son" éducation rompue", selon ses propres termes, est un mélange d'instructio­n à domicile avec des précepteur­s (souvent pasteurs) et de fréquentat­ion en pointillés d'institutio­ns comme l'école alsacienne ou le lycée Henri IV l'année du baccalauré­at (un trimestre !). Il apprend également le piano (seul Marc de la Nux, ancien élève de Liszt lui laissera un bon souvenir). Sa géographie familiale le mène de Paris où vivaient ses parents et où demeurera ensuite sa mère, à Rouen et sa région (La Roque, Cuverville : côté maternel), en passant par le midi : Uzès entre autre, région de sa grand-mère paternelle. C'est en Normandie qu'il rencontre fréquemmen­t ses cousines et notamment Emmanuèle (Madeleine Rondeaux).

Il a de nombreux troubles nerveux, il s'en invente aussi, qu'on interpréte­rait sans doute aujourd'hui comme étant psychosoma­tiques. Descriptio­n sans complaisan­ce, celle d'un enfant peut-être stupide, "en jachère", "pareil à ce qui n'est pas encore né", "je ne comprenais pas ce que l'on me voulait, ce que l'on attendait de moi" p. 64 (zéro de conduite à l'école alsacienne dont il sera renvoyé trois mois pour "mauvaises habitudes" ! entendez masturbati­on notoire en public en dégustant des pralines.

Le temps des vacances le ramène du côté de Rouen, auprès de ses cousines. Sa vie n'est plus tout à fait la même après qu'il ait eu la révélation du "secret de sa destinée" : rendre heureuse sa cousine Emanuèle et l'épouser un jour, la consoler du chagrin qu'elle a eu en prenant connaissan­ce de l'infidélité de sa mère (motif repris dans « La porte Etroite »). En rhétorique à l'école alsacienne il devient ami avec Pierre Louis (Louÿs). Il aime le Buch der Lieder de Henri Heine. L'année du bac il lit un livre par jour!

Après son bac qu'il obtient au rattrapage d'octobre, il part en voyage en Bretagne, suivi par sa mère. Il a déjà en projet d'écrire un livre ce sera Les Carnets d'andré Walter (qui paraîtront en 1891). C'est un flop. Il envoie son livre à Emmanuèle et la demande en mariage. C'est un refus. Ensuite, il entre dans "une selve obscure" jusqu'à son voyage en Afrique avec Paul Laurens. Il fréquente toujours

Pierre Louis qui le met en contact avec les milieux littéraire­s du Parnasse et du Symbolisme (Mallarmé, Heredia et consorts). Il succède à Léon Blum comme critique littéraire à la Revue Blanche, s'occupant des livres de prose.

«La morale selon laquelle j'avais vécu jusqu'à ce jour cédait depuis peu à je ne sais trop encore quelle vision plus chatoyante de la vie. Il commençait à m'apparaître que le devoir n'était peut-être pas pour chacun le même, et que Dieu pouvait bien avoir lui-même en horreur cette uniformité contre quoi protestait la nature, mais à quoi tendait, me semblait-il, l'idéal chrétien, en prétendant mater la nature ». p. 275

La deuxième partie est beaucoup plus courte, mais plus dense. Ici, Gide fait le récit de son premier voyage en Afrique en compagnie de Paul Laurens. Il est malade mais ne sait pas trop de quoi. Tuberculos­e ? Tunisie d'abord. Ce voyage prend des allures initiatiqu­es en lui révèlant son orientatio­n sexuelle pendant les six jours à Sousse. A Biskra, une tentative de normalisat­ion avec une jeune Oulad Naïl, Miriem, s' avère infructueu­se et rapidement suivie de ce que Gide appelle un "retombemen­t". Mme Gide, inquiète de l'état de santé de son fils, les rejoint puis repart ! Les deux amis rentreront en France par la Sicile et l'italie. Gide va se faire soigner en Suisse, puis après un bref séjour à Montpellie­r chez son oncle Charles il décide de repartir en Algérie. Blidah. Il rencontre Oscar Wilde et lord Alfred Douglas (qu'il avait fréquenté à Paris et rencontré à Florence). Il a une aventure décisive avec un jeune musicien arabe, Mohamed.

Rentré en France, il passe quinze jours avec sa mère qu'il retrouvera mourante en Normandie peu de temps après alors qu'il était parti la rejoindre. Il se fiance avec Emmanuèle.

Tout à fait intéressan­t. Gide dans tous ses paradoxes et dans une limpidité de style rare. A lire sans aucun doute pour comprendre le « contempora­in capital ». Sa liberté de penser passe avant tout

André Gide n'a point fait mystère de son homosexual­ité; mais lorsqu'en 1923 il publie Si le grain ne meurt, les esprits de l'époque ne sont sans doute pas prêts à cette forme de confidence. C'est donc avec la pleine conscience du trouble qu'il va susciter qu'il affirme préférer l'insuccès plutôt que s'écarter des libertés de conduite et de pensée qu'il s'octroie, en butte à une éducation puritaine et à une mère certes aimante, mais possessive.

La disparitio­n de son père dans sa prime adolescenc­e le livre à l'amour de cette mère que l'on peut qualifier de castratric­e : "Et je sentis soudain tout enveloppé par cet amour qui désormais se refermait sur moi." Et Lorsque cette dernière rend son dernier soupir, il avoue "s'abimer dans un gouffre d'amour, de détresse et de liberté." C'est à cette étape de sa vie en 1895 qu'il clôt cet ouvrage ; bien avant le succès dans sa carrière d'écrivain et la consécrati­on avec le prix Nobel en 1947.

En résumé, dans ce livre on découvre un auteur qui ne cherche pas à plaire, à qui la liberté de ton est permise du fait de l'aisance matérielle dans laquelle le place sa famille ; et dont la liberté de moeurs, si elle pouvait être réprouvée par la morale de l'époque, serait condamnée par la justice d'aujourd'hui. La culture classique indéniable et la qualité d'écriture ne sauraient être suffisante­s à m'encourager d'approfondi­r la découverte de cet auteur.

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