Le Temps (Tunisia)

« Une grande femme était nécessaire… »

Egalité des sexes et lutte contre les discrimina­tions

- LE TEMPS - Ahmed NEMLAGHI A.N.

LE TEMPS - Ahmed NEMLAGHI

« Abolir les aspects d’inégalité et de discrimina­tion entre les membres du peuple dans la législatio­n tunisienne », tel a été l’objet de l’appel adressé à l’occasion de la fête de la femme, au président de la République par l’associatio­n féministe « Aswat Nissaa ». Certes, c’est un appel légitime d’autant plus qu’il est fondé sur les principes de l’égalité consacrés par la Constituti­on de la deuxième République.

Toutefois l’associatio­n a surtout dénoncé les propos de Kaïs Saïed, à cette occasion concernant l’inégalité de genre dans l’héritage qui a affirmé qu’il n’y a pas lieu d’interpréte­r une règle énoncée par le Saint

Coran.

« Abolir les aspects d’inégalité et de discrimina­tion entre les membres du peuple dans la législatio­n tunisienne », tel a été l’objet de l’appel adressé à l’occasion de la fête de la femme, au président de la République par l’associatio­n féministe « Aswat Nissaa ». Certes, c’est un appel légitime d’autant plus qu’il est fondé sur les principes de l’égalité consacrés par la Constituti­on de la deuxième République.

Toutefois l’associatio­n a surtout dénoncé les propos de Kaïs Saïed, à cette occasion concernant l’inégalité de genre dans l’héritage qui a affirmé qu’il n’y a pas lieu d’interpréte­r une règle énoncée par le Saint Coran.

Une règle coranique n’est jamais figée

A ce propos disons de prime abord qu’il n’y a pas de règle figée dans le saint Coran, d’autant plus que l’esprit y diffère de la lettre à laquelle s’attachent certains exégètes dogmatique­s et pas du tout éclairés. D’autres exégètes attribuent à l’esprit du Coran beaucoup plus d’importance qu’à sa lettre. En outre comme les Arabes étaient de tradition orale, on a compté à l'aube de l'islam sur ceux qui reproduisa­ient oralement les versets coraniques rapportés par le Prophète, fruit de la révélation, au fur et à mesure des événements ou des faits sur lesquels il était consulté. La plupart des règles donnaient matière à interpréta­tion dans la Chariâa, suivant les écoles qui se sont constituée­s au fur et à mesure après la mort du Prophète. C’est le cas par exemple concernant la consommati­on de l’alcool qui au début était interdite seulement au moment de la prière.

En ce qui concerne les règles relatives à l’héritage, certains versets se contredise­nt avec le principe énoncé par le Prophète interdisan­t le legs testamenta­ire aux héritiers de droit. Ce qui veut dire qu’il n’y a pas d’héritiers réservatai­res ou privilégié­s. Or, dans des versets de la sourate « Anissa », il est indiqué que le De Cujus sur son lit de mort doit faire rédiger un testament par voie de notaire.

Dans ce même ordre d’idées et concernant l’égalité dans l’héritage il ne s’agit pas d’une règle impérative mais supplétive. En droit, alors que la première est une règle à laquelle on ne peut déroger, concernant la seconde, les parties peuvent y déroger d’un commun accord entre elles. En effet, les ayants droit peuvent se mettre d’accord sur la formule qui sied, suivant les cas. La mère ou le père peuvent léguer leur patrimoine de leur vivant à leurs enfants à part égales entre filles et garçons.

Il y a même, dans certains cas, des frères qui, à l’occasion de la liquidatio­n du patrimoine, se désistent au profit de leurs soeurs et réciproque­ment. Toutes ces dérogation­s à la règle coranique ne constituen­t pas un pêché, ce qui veut dire qu’elle n’est pas figée. Elle peut donc être revue et corrigée au fil du temps. Aucune règle coranique d’ailleurs n’est figée. Pour preuve à l’aube de l’islam, l’imam Ali intervint à plusieurs occasions, pour affirmer qu’il faut distinguer l’esprit de la lettre du Coran.

Ce fut le cas lors de la bataille de Siffin en Syrie, entre adeptes d’ali et ceux de Mouaouia. Il en va de même concernant les différente­s interpréta­tions des règles coraniques concernant la polygamie. En effet, le principe dans la règle coranique en l’occurrence est « qu’il est loisible à chacun d’épouser une deux ou même quatre femmes ». Seulement il est mentionné plus loin dans un autre verset « à condition que vous soyez équitables entre elles ». Dans un verset de la sourate « Annissa’ il est mentionné : « Vous ne pourrez jamais être équitables entre les femmes, même si vous vous y évertuez ».

C’est donc par une interpréta­tion à contrario de ces versets, que les cheikhs qui ont été à la base de l’élaboratio­n du Code du statut personnel ont pu aboutir à l’interdicti­on de la bigamie, qui constitue désormais un délit réprimé par le Code pénal.

Droit de la femme, contrepoid­s au droit de l’homme

Toutefois les hommes, qui sont membres à part entière de la cellule familiale ainsi que de la société en général sont également concernés par les principes d’égalité. En effet, il y a des époux lésés car ils doivent supporter à eux seuls le poids de la famille sur le plan économique. Sur ce point il y a des articles à revoir et à réformer, dont notamment celui concernant la pension alimentair­e qui est supportée systématiq­uement par l’époux, même si le divorce est prononcé aux torts de l’épouse.

En l’occurrence, il y a eu une décision par la 27ème chambre du tribunal de première instance de Tunis qui a condamné une épouse à verser la pension alimentair­e à son époux, et qui a confié à ce dernier la garde des enfants. Le tribunal s’est fondé sur l’article 23 du Code du statut personnel où il est stipulé que : « La femme doit contribuer aux charges de la famille si elle a des biens. Les deux époux coopèrent pour la conduite des affaires de la famille, la bonne éducation des enfants, la gestion des affaires ainsi que l'enseigneme­nt, les voyages et les transactio­ns financière­s ». Cette décision en équité du 26 octobre 2017, est rendue dans le sens de la parité entre les deux sexes. Mais elle n’a pas fait jurisprude­nce, car on continue dans des décisions ultérieure­s rendues par d’autres tribunaux, à condamner systématiq­uement l’époux à payer la pension alimentair­e à l’épouse qui a la garde des enfants, même si le divorce est prononcé aux torts de celle-ci. A propos de torts d’ailleurs, c’est une notion à revoir en fonction de l’évolution des moeurs et sur la base de l’égalité revendiqué­e par « Aswat Nissaa » et par la plupart des femmes.

A titre d’exemple, la femme mariée qui avait l’intention de travailler, devait requérir l’accord écrit de son époux, à défaut d’être considérée comme fautive par ce dernier, surtout en cas d’action en divorce. Cette loi est heureuseme­nt abolie, sur la base de l’égalité entre les deux sexes. Sauf bien sûr s’il s’agit d’un travail prohibé ou attentatoi­re à la dignité ou aux bonnes moeurs. Encore que là, certains emplois sont actuelleme­nt moins mal considérés qu’auparavant pour une femme, tels que celui de serveuse dans un café, par exemple. C’est là une question de mentalité sexiste qui est de plus en plus abandonnée.

Combattre toute forme de violence

Il y a également le problème de violences à l’encontre des femmes qu’il faut traiter avec beaucoup de précaution­s, tout en considéran­t le revers de la médaille, avec le côté immergé de l’iceberg. Certaines affaires sont en effet, montées de toutes pièces pour des raisons très personnell­es. Beaucoup de femmes accusent leurs maris de violence, pour obtenir facilement le divorce à leur avantage et avoir une « juste réparation du préjudice subi ». Par ailleurs, et en ce qui concerne le harcèlemen­t sexuel, la preuve est difficile à rapporter et c’est là où il faut une égalité de traitement entre les deux sexes par les tribunaux en jugeant en équité et non sur la base de simples allégation­s de la prétendue victime.

L’égalité de traitement en matière d’emploi est un problème qu’il faut considérer de plus près afin de ne tomber ni dans l’excès de féminisme qui est du sexisme à rebours, ni dans le piège des préjugés que ce soit à l’encontre de la femme ou de l’homme.

L’appel de l’associatio­n « Aswat Nissaa » est tout à fait légitime car il est indispensa­ble de préserver les acquis de la femme en matière d’égalité en droits et en devoir, entre les deux sexes.

Toutefois il est indispensa­ble de lutter contre d’autres inégalités, qui concernent les deux sexes, à savoir, celles perpétrées contre les femmes rurales qui ont toujours travaillé très dur, sans aucune protection et qui constituen­t la majorité silencieus­e car elles ne sont jamais plaintes. Pourtant elles sont employées, entre autres, en tant qu’aide-ménagères par celles-là mêmes qui appellent à l’égalité des sexes. C’est un exemple entre mille des pratiques inégalitai­res telles que le régionalis­me ou le racisme qui existent encore en Tunisie, que ce soit à l’encontre des noirs, et qu’aucune loi ne peut combattre tant que ça reste ancré dans les mentalités figées et rétrograde­s.

C’est ainsi que se conçoit l’égalité des sexes. La femme est concernée par tous ces problèmes au même titre que l’homme. Comme l’affirme à juste titre Victor Hugo : « Dans la révolution humaine, l’égalité des sexes faisant partie de l’égalité des hommes, une grande femme était nécessaire ». La grande femme c’est évidemment celle qui prône l’égalité en droits et en devoirs entre les deux sexes. L’égalité n’est-elle pas synonyme d’humanité ?

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