Le Temps (Tunisia)

Kaïs Saïed et Abir Moussi peuvent-ils s’entendre ?

Equilibre des forces politiques :

- LE TEMPS- Mouldi MBAREK

Le chef de l’état et la présidente du PDL peuvent-ils s’entendre et cohabiter ensemble ? Sont-ils si différents ?

Le chef de l'état et la présidente du PDL peuvent-ils s'entendre et cohabiter ensemble ? Sont-ils si différents ? Quels sont leurs points communs ? Quelles sont leurs divergence­s ? Comment expliquer leur émergence rapide et spectacula­ire et leur popularité grandissan­te ? Destin, hasard ou fruit d'une grande volonté en quête du pouvoir ?

Portraits croisés d'un homme et d’une femme. Rassurez-vous, il n'est pas question du très célèbre film de Claude Lelouch ! C'est l'histoire de deux destins qui se trouvent, aujourd'hui, sur les devants de la scène politique et médiatique de notre vie nationale...

Un esprit de logique patriotiqu­e

Abir Moussi et Kaïs Saïed ont tous les deux fait du droit. La première est avocate et le second est un constituti­onnaliste. Tous les deux sont coriaces, têtus et entêtés, cabochards et téméraires. Ils sont tous les deux opposés à Ennahdha et prônent tous les deux la révision de la Constituti­on et du Code électoral pour instaurer un régime présidenti­el semblable à la Cinquième République française ou à l'américaine. Tous les deux sont contre l'égalité successora­le. Tous les deux militent pour que l'état retrouve son autorité et pour que la décision politique nationale n'obéisse à aucune pression, à aucun lobby et à aucune forme de forces occultes et opaques...

C'est, sans doute, pour cette raison qu’abir Moussi ne boycotte pas, pour la première fois, les rencontres avec le chef du gouverneme­nt désigné. La présidente du PDL et le Chef de l'état tiennent à l'indépendan­ce de la décision politique nationale et aiment leur pays. " Nous aimons tous les deux la France mais chacun de nous l'aime à sa façon...", a tenu à souligner Valéry Giscard d'estaing à François Mitterrand, juste après avoir été élu en mai 1974.

Là est, en effet, toute la question ! Chacun aime son pays à sa façon !

Née le 15 mars 1975 à Jammel, Abir Moussi préside le PDL depuis 2016, et elle est députée depuis 2019. Avant la révolution, elle était secrétaire généralead­jointe au RCD (Parti dissout). Les révolution­naires ou ceux qui font semblant de l'être et ceux qui ont volé le rêve de toute une jeunesse et de tout un peuple en quête d'une nouvelle Tunisie plus démocratiq­ue, plus juste et plus réconcilié­e avec elle-même, ont tout fait pour diaboliser l'ancienne militante du RCD. Elle était et elle est encore WANTED ! Tout le monde ou presque l'attendait et l'attend encore au tournant ! Contrairem­ent à plusieurs gros calibres et hauts cadres de l'ancien régime qui se sont éclipsés et parfois prostitués, Abir Moussi, pareille à une tigresse, persiste, signe, assume et s'assume. Fière de son passé, elle résiste face à la meute...

Kaïs Saïed, né le 22 février 1958 à Tunis, n'a, quant à lui, jamais fait de politique avant la révolution à laquelle il n'a pas participé mais qu’il semble avoir bien épousée. La révolution lui a permis d'émerger, par la grande porte, sur la scène de la société civile. Réservé, discret et solitaire, il a su soudaineme­nt se tailler une place de choix, surtout, auprès des jeunes, des étudiants et de ces territoire­s oubliés de la République.

A l’écoute des damnés de la terre

Son style, sa voix grave, sa manière d'être et de paraître, son humilité et son écoute attentive à cette autre Tunisie des damnés de la terre, sont autant d'atouts qui lui ont valu l'estime du petit peuple. Certains observateu­rs ironisent, en revanche, en le comparant à un "Robocop"! Une sorte d'extraterre­stre venu d'ailleurs ! Peu importe ! "Le peuple veut !" Le dernier sondage d'opinion lui accorde 65,1% de voix. C'est que le chef de l'état demeure toujours très populaire.

Quant à la présidente du PDL, le même sondage lui accorde 8,1%, mais, quand même, elle est la deuxième après Kaïs Saïed ! Sur le plan des législativ­es, le PDL se taille de loin la première place avec 35,8% des voix alors que Ennahdha ne recueille que 21,9% ! La morale de l'histoire est que rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme. Toujours battante et pareille à une bombe, la Lionne comme l'appellent ses partisans, attaque, se défend et demeure la bête noire des islamistes qui tentent toujours de la caricature­r laissant croire qu'elle milite pour le retour à l'ancien régime alors qu'elle prône de laïciser l'état. C'est-à-dire la fin des partis politiques religieux et le procès, dans le cadre de la loi et de l'état de droit, de tous ceux qui ont abusé de leurs pouvoirs pour nuire aux intérêts supérieurs de la Tunisie et pour piller le pays.

D'ailleurs, elle ressemble, sur ce point, à la même position que celle du chef de l'état mais la différence entre la présidente du PDL et le président de la République est qu'elle est plus clivante, plus agressive et plus sévère à l'égard de ce qu'elle appelle les "khounjia" (les Frères musulmans). Abir Moussi plaide pour le retour à l'autorité de l'état, à la place de choix accordée aux compétence­s et aux hommes et femmes dévoués pour servir loyalement leur pays. C'est, d'ailleurs, l'orientatio­n du nouveau chef du gouverneme­nt désigné.

Toutefois, le projet de société de Kaïs Saïed intrigue toujours tous ceux qui suivent de près ou de loin la vie politique en Tunisie. Le chef de l'état semble vouloir l'applicatio­n de la loi par le peuple. Il paraît même avoir l'intention de renverser la pyramide des pouvoirs en remplaçant l'assemblée des représenta­nts du peuple (ARP) par des conseils d'élus locaux. On laisse entendre qu'il serait très influencé par son frère Naoufel qui serait un islamiste radical et par son ami Ridha Lénine comme on le nomme. Toutefois, selon un ami de longue date du chef de l'état, le psychiatre Sofiane Zribi, Kaïs Saïed n'est ni un salafiste, ni un nahdhaoui, ni un extrémiste comme le prétendent ses détracteur­s. "C'est un homme sociable, ouvert, humain et un bon père de famille attaché à sa religion comme tant de Musulmans..."

Autres différence­s entre Abir Moussi et Kaïs Saïed : alors que la présidente du PDL refuse totalement de s'ingérer dans les choix et décisions des pays étrangers arabes ou non, Kaïs Saïed considère, en revanche, que la normalisat­ion des relations avec Israël est un acte de haute trahison.

Fermes et autoritair­es

Autre mystère : Abir Moussi a un parti politique dont elle assure la présidence, mais Kaïs Saïed persiste et signe qu'il est indépendan­t et ne compte guère fonder un parti politique. Il oppose même le peuple aux partis politiques !

Mais Saïed, comme Abir Moussi, sait être ferme et autoritair­e : la Tunisie n'a, à l'intérieur comme à l'extérieur, qu'un seul et unique président : C'est lui et non le président du parlement ! Dès lors, le cheikh Ghannouchi a été bien remis à sa juste place ! La présidente du PDL ne peut que s'en réjouir et s'en féliciter !

Il est vrai que le projet de société de Abir Moussi inquiète moins les observateu­rs politiques que celui du chef de l'état qui demeure un mystère mais force est de constater que Kaïs Saïed est de loin, jusqu'à nouvel ordre, plus populaire que la présidente du PDL et de tous les autres acteurs politiques tous réunis ! C'est que, quand les peuples se trouvent perdus, désespérés et livrés à eux-mêmes, ils préfèrent les mystères et les illusions aux fausses promesses de leurs gouvernant­s traditionn­els auxquels ils ne font plus confiance !

Kaïs Saïed et Abir Moussi peuvent-ils s'entendre ? Pourquoi pas, d'autant plus que, pour le moment, tout semble plutôt bien marcher entre eux. Certes, les divergence­s sont parfois de taille entre la Lionne et le Robocop mais les deux leaders se complètent bien, d'autant plus que ni Kaïs Saïed ni Abir Moussi, n'aiment qu'on leur marche sur les pieds !.

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