Le Temps (Tunisia)

Plongée dans le spleen baudelairi­en

‘’Rien n’égale en longueur les boiteuses journées, Quand sous les lourds flocons des neigeuses années L’ennui, fruit de la morne incuriosit­é, - Prend les proportion­s de l’immortalit­é.’’

- M.B.G.

Le Temps – Mona BEN GAMRA

On a tous besoin de notre dose de Baudelaire. Une lecture qui nous procure le ‘’spleen’’ nécessaire quand on a envie d’exprimer une mélancolie profonde, cet ennui de toutes choses. Re( lire) ‘’Les fleurs du mal’’, notamment, c’est aussi se donner à jeu de sons caressés par le respect de l’écrit de celui qui porte en lui les flammes de la poésie française, s’offrir une certaine religiosit­é dans la lecture , découvrir la foi dans les mots . Car ‘’Les fleurs du mal’’ est un condensé de poèmes qui parlent de l’homme lui envoient son image à travers le miroir des mots qui se meuvent entre ‘’spleen’’ et ‘’idéal’’.

‘’Et de longs corbillard­s, sans tambours ni musique, Défilent lentement dans mon âme, l’espoir,

Vaincu, pleure, et l’angoisse atroce, despotique,

Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.’’

‘’Les fleurs du mal’’ est sans nul doute le recueil de poèmes le plus célèbre du poète français Charles Baudelaire et qui nous fait découvrir ce qu’on est allé à considérer plus tard le ‘’spleen baudelairi­en’’ qui puise dans les tréfonds de l’âme humaine, en extrait la laideur et en fait des poèmes sublimes. Baudelaire sait se jouer des sonnets et des formes convention­nelles de la poésie française de son époque, pour allier ainsi le « sublime » à la «pourriture ». « J’ai pétri de la boue et j’en ai fais de l’or » dit-il.

Mais il ne faut pas se leurrer pour autant, car dans les cent vingt poèmes qui composent ce recueil, ‘’L’albatros’’, ‘’Correspond­ances’’, ‘’J’aime le souvenirs de ses époques nues’’, etc , il n’est pas question de mal de vivre mais de rage de vivre, et c’est le sens même du spleen baudelairi­en qui inspirera d’autres grands poètes à l’exemple de Mallarmé ou de Rimbaud.

Extraits du livre

Une charogne

Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme, Ce beau matin d’été si doux :

Au détour d’un sentier une charogne infâme Sur un lit semé de cailloux,

Le ventre en l’air, comme une femme lubrique, Brûlante et suant les poisons,

Ouvrait d’une façon nonchalant­e et cynique Son ventre plein d’exhalaison­s.

Le soleil rayonnait sur cette pourriture, Comme afin de la cuire à point,

Et de rendre au centuple à la grande Nature Tout ce qu’ensemble elle avait joint ;

Et le ciel regardait la carcasse superbe Comme une fleur s’épanouir.

La puanteur était si forte, que sur l’herbe Vous crûtes vous évanouir.

Les mouches bourdonnai­ent sur ce ventre putride, D’où sortaient de noirs bataillons

De larves, qui coulaient comme un épais liquide Le long de ces vivants haillons.

Tout cela descendait, montait comme une vague Ou s’élançait en pétillant ;

On eût dit que le corps, enflé d’un souffle vague, Vivait en se multiplian­t.

Et ce monde rendait une étrange musique, Comme l’eau courante et le vent,

Ou le grain qu’un vanneur d’un mouvement rythmique Agite et tourne dans son van.

Les formes s’effaçaient et n’étaient plus qu’un rêve, Une ébauche lente à venir,

Sur la toile oubliée, et que l’artiste achève Seulement par le souvenir.

Derrière les rochers une chienne inquiète Nous regardait d’un oeil fâché,

Épiant le moment de reprendre au squelette Le morceau qu’elle avait lâché.

– Et pourtant vous serez semblable à cette ordure, A cette horrible infection,

Étoile de mes yeux, soleil de ma nature, Vous, mon ange et ma passion !

Oui ! telle vous serez, ô la reine des grâces, Après les derniers sacrements,

Quand vous irez, sous l’herbe et les floraisons grasses, Moisir parmi les ossements.

Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine Qui vous mangera de baisers,

Que j’ai gardé la forme et l’essence divine De mes amours décomposés !

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