La baguette « empoisonnée » du Président
La culture du buzz fait des ravages :
LE TEMPS - Jameleddine EL HAJJI
Dans notre article intitulé « Même en vacances, elle demeure un casse-tête : L’ARP, une instance qui fait tout, sauf ce qu’elle doit faire », publié dans notre livraison de jeudi 20 août 2020, nous avions glissé ce paragraphe :
Dans notre article intitulé « Même en vacances, elle demeure un casse-tête : L’ARP, une instance qui fait tout, sauf ce qu’elle doit faire », publié dans notre livraison de jeudi 20 août 2020, nous avions glissé ce paragraphe :
« De notre part, en tant que médias écrits, nous sommes en possession de tonnes de rumeurs que nous ne pensons même pas évoquer sur nos colonnes. A moins d’avoir sous la main de bonnes raisons de parler d’indices ou de preuves. Une règle déontologique de base, et qui fonde, dans une large mesure la crédibilité dont nous nous prévalons ».
Hier, Vendredi 21 août, soit moins de 48 heures après la publication dudit paragraphe, le pays se réveille sur une manchette à la une d’un confrère, selon laquelle on apprend que le Président de la République a fait l’objet d’une conspiration visant à l’éliminer physiquement, en empoisonnant son pain dans la boulangerie conventionnée avec la Présidence de la République, sur cette rubrique de la fourniture alimentaire. La base de l’information, un procès-verbal établi au poste de police du Lac, où un ouvrier boulanger a fait des déclarations dans ce sens, en tant que l’élément que l’on a voulu soudoyer à cette fin. Devant cette publication, pour le moins grave et polémique, le ministère de l’intérieur a publié une mise au point dans laquelle il évoque une guerre commerciale entre deux boulangeries de la place, et que dans le cadre de cette guerre, la déclaration de l’ouvrier lui-même aurait été payée !
Le mauvais montage…
En fait, depuis le matin, l’une des conseillères du Président de la République, Rachida Ennaïfer, a catégoriquement démenti l’information, insinuant, à la franchise, une conspiration politique et médiatique contre la personne du chef de l’etat, ramenant ainsi la question dans un cadre tout autre : Celui du bras-de-fer qui oppose le parti Ennahdha et ses appendices au Président de la République,
trop indépendant à leur goût. Dans l’absolu, une corporation qui ne se livre pas à une autocritique honorable n’en est pas une. Elle est plutôt une sorte de cartel ou de mafia qui ne fait pas dans le domaine, mais ailleurs. S’agissant de la corporation des journalistes, cette condition de l’autocritique est plus que jamais vitale, au vu des difficultés que le secteur traverse, et de la concurrence à laquelle il fait face, presque les mains nues.
Passons outre le post Facebook publié par l’auteure de la fameuse manchette, en réponse au démenti de Rachida Ennaïfer. Passons aussi sur les insultes indignes d’un journaliste qu’il contient, venons-en simplement au contenu de l’article. Commençons par le bon sens populaire: Comment sait-on que la personne visée est le chef de l’etat, quand on sait que la Présidence commande du pain, et s’en fournit, pour l’ensemble de son personnel. A moins d’un « agent » bien installé dans la cuisine pour désigner la baguette destinée à la cible. Où commence l’empoisonnement ? Au pétrin ? A la façonneuse ? Au four ? Sachant que du poison dans le pétrin, c’est toute la clientèle qui va l’absorber. Et puis une telle entreprise ne peut se faire sans l’implication active et passive de plusieurs membres de la chaine du personnel de la boulangerie en question.
Outrage à l’instruction et à la Justice
Du côté technique, le travail des postes de police se limite à recueillir les propos des citoyens, pour « l’instruction préliminaire ». La coutume veut que dans la plupart des cas, la justice infirme, par sa propre technique, les déclarations émises dans les postes de l’instruction préliminaire. Pour l’histoire, nous avons été témoins, au tribunal de première instance de Tunis, d’une « jurisprudence en la matière ». On présente à la barre une femme d’un mètre vingt, pour ivresse et tentative d’arracher son arme à un membre de l’une des brigades de sécurité, se prévalant du triple des mensurations de la dame. La cour n’a retenu que l’ivresse, et l’auditoire a éclaté de rire. Pire encore, l’ouvrier de la boulangerie a fait ces déclarations de son propre chef, n’engageant que sa propre volonté personnelle. Résultat, les investigations de la police, telles que présentées par le ministère de tutelle, concluent à une simple guerre commerciale entre deux boulangeries, réduisant en débris l’histoire de l’article, et enjoignant à notre honorable enquêteuse de se taire, et de « ranger sa manchette ».
Par le contenu de la réponse à la conseillère Rachida Ennaïfer, la journaliste s’est comportée de manière indigne. Condamnable à tous égards et impardonnable. A ce titre, le Syndicat National des Journalistes Tunisiens, ainsi que les autres corps de régulation, doivent se manifester, afin de calmer cette arrogance, et d’imposer la régulation, au moins éthique, d’un métier qui assiste à la destruction systématique de ses raisons d’être. Si l’on peut justifier une bourde radiodiffusée ou télévisée par les contraintes du direct, la presse écrite reste le dernier support de la réflexion et de l’intelligence dans le pays. Le sensas sans intelligence relève d’une époque où nous étions gouvernés par des malfaiteurs sans scrupule. En 2007, les propriétaires de certains de ces journaux se sont mis à tirer par dizaines de milliers leurs torchons, avec une assurance qui interloque. Les ventes étaient en deçà du dixième du tirage. Pour découvrir que les entreprises de recyclage du papier imprimé achetaient le kilo de ces journaux, plus cher qu’un journal frais!