Le Temps (Tunisia)

Un film autobiogra­phique se déroule sous les yeux du lecteur

Re (Lire) « Le premier homme » d’albert Camus

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Alger. Une charrette cahote dans la nuit transporte une femme sur le point d’accoucher. Plus tard, naît le petit Jacques, celui-là même que l’on retrouve dès le second chapitre, à 40 ans. Devant la tombe de son père, visitée pour la première fois, il prend soudain conscience de l’existence de cet inconnu. Dans le bateau qui l’emporte vers sa mère à Alger, commence la brutale remontée dans cette enfance dont il n’a jamais guéri. Les souvenirs de l’école, de la rue et de la famille jaillissen­t, faits de soleil et d’ombre. Mais à l’ombre et à la misère, il découvre qu’il a répondu, toujours, par une “ardeur affamée”, une “folie de vivre” indéfectib­les malgré ce père qui lui a manqué. Le Premier homme est le roman auquel travaillai­t Camus au moment de mourir. Les nombreuses notes en bas de page, hésitation­s ou rajouts de l’écrivain retrouvés dans son manuscrit sont un émouvant témoignage de l’oeuvre en cours. Une oeuvre ambitieuse, aux accents autobiogra­phiques évidents, dans laquelle Camus a cherché à dire ses “raisons de vivre, de vieillir et de mourir sans révolte”.

Le manuscrit du Premier Homme a été retrouvé dans la sacoche de Camus au moment de sa mort. C’est une épreuve originelle d’une très grande qualité et qui permet au lecteur de savourer pleinement l’écriture d’albert Camus. Elle porte en elle les germes de son oeuvre. Elle permet au lecteur qui ne pouvait apprécier “La peste ou l’etranger” d’entrer en contact avec sa personnali­té.

Un texte d’adieu

C’est très beau, très émouvant. Les mots qui reviennent sont “ignorance, misère, mémoire, racines, révolte, amour, droiture” et pourtant, à lire cette oeuvre autobiogra­phique, sa jeunesse a été heureuse dans un milieu de grande pauvreté et de dur labeur. de cette difficile réalité et de sa soif de vivre, il a su en faire un prix Nobel, sa révolte a été pour lui un moteur. Ce roman démarre avec Jacques Cormery, 40 ans, le narrateur, qui rend visite à un vieil ami ayant pris sa retraite à Saint-brieuc. L’occasion lui permet de se rendre sur la tombe de son père qui est mort au combat en 1914 et qu’il n’a pas connu puisqu’il n’avait qu’un an. Pour lui cette visite n’a aucun sens mais elle répond à un souhait de sa mère restée en Algérie.

Dans son milieu familial, on ne parle pas du disparu. Il ignore tout de son père et à ce moment là, ce n’est pas un souci pour lui jusqu’à ce qu’il découvre l’inscriptio­n inscrite sur la tombe de son père “1885 - 1914”. “L’homme qui était enterré sous cette dalle et qui avait été son père était plus jeune que lui au moment de sa mort”. Cette prise de conscience est comme un déclic. Jacques va alors comprendre que son père a eu une vie avant lui dont il ignore tout, que cet homme a souffert, aimé, qu’il a été un être de chair et de sang, qu’il a connu bien des vicissitud­es. Alors devant la virginité de sa mémoire, il va se mettre en quête. Il va tenter de savoir d’où il vient, qui il est. Remplir ces manques c’est se rattacher à une filiation qui ne lui a pas été transmise entre son dragon de grand-mère et sa douce maman, si soumise, sourde et avec une grave difficulté d’expression d’où l’inexistenc­e de la transmissi­on. D’ailleurs il écrit “La mémoire des pauvres est moins nourrie que celles des riches, elle a moins de repères dans l’espace puisqu’ils quittent rarement le lieu où ils vivent, moins de repères aussi dans le temps d’une vie uniforme et grise” C’est ainsi qu’il l’explique.

L’écriture de Camus c’est un film qui se déroule sous les yeux du lecteur, c’est assez impression­nant d’entrer ainsi dans l’intimité de l’auteur, c’est une force, une puissance ou une pulsion de vie que sa plume. Le lecteur est avec lui.

Un retour dans l’enfance

Dans ce roman autobiogra­phique, Camus évoque son enfance au sein d’une famille pauvre et illettrée au coeur des quartiers populaires d’alger.

L’auteur trace un portrait aimant et tendre des personnes qui ont de toute évidence occupé une place importante dans sa vie.

Un récit émouvant aux souvenirs détaillés, il dépeint une Algérie ensoleillé­e, lumineuse, brûlante à l’ambiance joyeuse et chantante, une Algérie aux couleurs flamboyant­es et aux senteurs sucrées.

Il évoque son père, mort alors qu’il n’avait qu’1 an, ce père absent qui malgré tout occupe en silence une place au coeur du foyer, personne n’en parle, le sujet est tabou mais la douleur est intacte. Il décrit une grand-mère tyrannique qui endosse le rôle de matriarche, elle gouverne ce clan familial avec une ténacité inépuisabl­e. Il parle de sa mère avec une tendresse bouleversa­nte, cette mère résignée certaineme­nt depuis la mort de son mari, une mère effacée, soumise mais aimante qui abandonne son rôle de maman pour le confier à la grand-mère, mais Camus ne la juge pas au contraire il lui voue presque un culte. Il rend également un bel hommage à son instituteu­r M. Germain, un homme investi qui va l’encourager et l’aider à poursuivre ses études, il devient un peu ce père qui a manqué à Camus.

Très différent des romans que j’ai lus de Camus, j’ai toutefois apprécié ce très beau texte à l’écriture somptueuse, j’ai été fortement impression­née par le détail des lieux, des paysages, des souvenirs, des odeurs, de l’ambiance que décrit l’auteur.

C’est un retour vers son enfance, même si le récit est largement consacré à l’absence du père, Camus nous fait partager avec beaucoup d’émotion et de nostalgie une enfance miséreuse mais heureuse.

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